Un coup de cœur, voilà c'est un gros coup de cœur !
Ce n’est pas un livre qui brille par des qualités littéraires incomparables, Laïk n’est pas Duras, mais en échange il nous donne tout le reste : l’authenticité, le cœur, l’émotion, la joie, la peine : que du vrai !
Avec lui on plonge au cœur de la guerre d’Algérie par le biais d’un homme, Marc Kasby, dont le père juif né à Oran a fait la seconde Guerre Mondiale pour la France. Un homme témoin, vrai, franc, profond, avec ses sentiments, ses questionnements : “Mais qu’est-ce que je fous là ?”, sa peur de “mourir à vingt ans”, sa recherche de “la planque”, son amour du septième Art et ses précieux “Cahiers du Cinéma”, sa prise de position politique contre cette guerre inique en même temps que la honte, parfois, d’avoir obéi, d’y être allé, de l’avoir faite cette sale guerre, et d’y avoir perdu vingt-six mois et sept jours de sa vie.
Avec son chien Fable, Kasby nous touche, nous prend aux tripes, nous fait rire aussi. Le type un peu perdu dans son uniforme et ses pataugas, la peur au ventre mais toujours loyal, toujours partant pour la “marrade” avec les “poteaux”, des rêves d’amour qui finissent au bordel, qui aimerait pouvoir déserter comme dans la chanson “Merci Boris” mais..., qui voudrait juste rentrer chez lui, qu’on lui rende sa vie.
On aperçoit un peu le scénariste derrière l’auteur, mais :
“C'est pas un film.
Y a même pas de bobine.
C'est ma vraie vie qui se débine.
Je voulais pas venir.“ (Alain Souchon, Manivelle),
et le traumatisme des horreurs vues et vécues le hantera à jamais.
Dans cet environnement dur, cruel et injuste qu’est la guerre, ce roman est un concentré de lucidité et de positivité. Sans trop en faire, Philippe Laïk (avec un tréma) raconte merveilleusement bien, témoigne avec authenticité et dénonce sans langue de bois la politique de la France à cette époque : les exécutions sommaires, la torture, les vies volées, gâchées grâce à Guy Mollet, Massu, Papon, …, que du “beau” linge !
Je suis certaine que l’auteur a laissé là-bas une partie de lui-même. On le sent dans ce roman où la fiction ressemble beaucoup au témoignage, et on devine avec tendresse, à travers le personnage de Kasby, l’espièglerie de l’auteur et sa grande sensibilité : son humour “Han deux, han deux...” et son amour de la vie sont tels que jamais on ne sombre dans le drame.
Il existe certainement d’autres livres sur cette guerre que je connais mal, des livres plus détaillés, plus “techniques”, mais celui-ci est très personnel et c’est une vraie réussite. Je le conseille fortement car en plus d’apprendre ce que vous ne savez peut-être pas encore sur la guerre d'Algérie, vous passerez des moments mémorables avec Marc Kasby en attendant “La quille bordel, la quille !”
---- Merci à Babelio et aux Éditions Le Temps Des Cerises ----
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C'est le récit, sans doute autobiographique, des 26 mois et 7 jours d'un jeune homme de 20 ans appelé pendant la guerre d'Algérie et libéré en octobre 58.
Il en revient vivant et à jamais bouleversé par son vécu. "Quand un soldat revient de guerre, il a simplement eu de la veine et puis voilà" comme dit le poète Francis Lemarque. Pendant ce temps, loin des siens à part quelques permissions, il a perdu son père confronté à une situation financière, professionnelle et familiale qui lui ont fait perdre pied.
On suit pendant 8 chapitres son parcours avec les autres jeunes de sa classe d'âge, ses pensées, ses espoirs, ses déconvenues, ses rencontres dans un univers masculin confiné, puant, plein de punaises, de tracasseries, à cent lieues de sa vie de parisien branché, choyé, empli de ses passions: le cinéma qu'il connait parfaitement , le jazz et les "mignonnes".
Il imaginait qu'après les "classes", son père par ses relations au Ministère le ferait entrer au service cinéma de l'armée, hélas pour lui, le piston ne marchait plus, on avait même incorporé un pauvre pied-bot!
On lit les lettres qu'il adresse à ses parents, à son jeune frère, à son meilleur ami; les filles, elles, ne s'attachent guère.
La description du campement de Telergma est impressionnante, les adjudants ne font pas dans la dentelle : "c'est fini les fils à papa!" "c'est fini les fils à maman!"
La camaraderie militaire apporte quelques apaisements , il découvre des jeunes différents de lui et tout ce brassage des régions françaises, des vieux routards de l'Indochine, des harkis, des engagés avec son cortège de blagues lourdes, de sorties au bordel, de beuveries, de dures épreuves physiques et mentales.
Son affectation de maître-chien due à la confusion entre cinéphile et cynophile l'envoie en stage à Tarbes; le chien Fable lui apporte du réconfort et une responsabilité importante qui lui fera rencontrer les paras dans une opération dangereuse où il côtoie la mort près de Constantine.
La peur de voir sa vie s'achever trop vite pour une cause qu'il ne défend pas comme beaucoup d'appelés d'ailleurs, lui fait envisager sa désertion. Il appelle le secours d'un poète ami Sénac, mais les risques sont grands, l'époque n'a pas pitié des traîtres, les courriers, la presse sont sous surveillance.
La difficulté de raconter même aux proches, l'incommunicabilité de ce qui est vécu aux autres m'apparaît un trait commun à tous les traumatisés des guerres et catastrophes; être incompris ajoute au désespoir, c'est pourquoi on se tait!
Il peut terminer son travail comme psychotechnicien, en faisant passer des tests aux nouvelles recrues. Sa parenthèse de vie va s'achever avec un meilleur commandement, car la guerre n'est plus soutenue que par les extrêmes et l'opinion publique aspire à la paix.
L épilogue restitue la répression des manifestations par le préfet Papon et les morts de Charonne qui mettront un point final à la guerre.
C'est un livre qui se lit aisément, j'y retrouve le fond musical de Dalida, Piaf, Line Renaud, Bécaud… et de toutes les rengaines de l'époque. Je reconnais aussi les sorties de films, les avis de Truffaut, les événements internationaux et toute la vie politique française dans la tourmente jusqu'à l'arrivée de De Gaulle.
C'est un livre qui a le courage d'aborder une page peu glorieuse de notre histoire sans abuser de descriptions morbides, sans rien cacher ni édulcorer, avec des analyses qui montrent toute la complexité de la situation pour les Algériens et pour les Français.
Actuellement en salles, comme en écho, le film de Dafri "Qu'un sang impur…" complète le tableau avec des images -choc.
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