Rouge printemps de
Philippe Loul Amblard
J’ouvre un œil… glauque.
Comme tous les matins depuis trois ans, j’ai la langue aussi pâteuse qu’une tartine de beurre de cacahuètes (qui fait tant pour la jeunesse américaine) et comme tous les matins depuis trois ans, sous mes cheveux collés par la sueur, les tambours du Bronx battent la chamade.
Dés qu’il m’a entendu bouger dans le canapé, Kerouac s’est manifesté. Il tourne et couine devant la porte. J’ai compris le message, je me lève péniblement et vais lui ouvrir. Comme tous les matins, il attend la petite tape sur la tête auquel il a droit et, de sa démarche claudicante de vieux chien, il part lever la patte en des endroits stratégiques connus de lui seul, mais qui doivent avoir leur importance, compte tenu du zèle quotidien dont il fait preuve.
D’un pas traînant, j’entre dans la cuisine… dégueulasse.
Comme tous les matins depuis trois ans, je passe un coup d’eau froide à une tasse piochée au hasard dans la vaisselle sale qui encombre l’évier. Comme tous les matins depuis trois ans, je me tape un caoua improbable qui n’arrange pas mon mal de crâne, j’avale un cach’ton censé arranger mon mal de crâne et finis par me rouler un joint (de ma propre production s’il vous plaît !) qui relance mon mal de crâne.
Trois cafés et deux pétards plus tard, je n’ai toujours pas bougé mon cul quand Kerouac gratte à la porte. Je sais très bien ce qu’il veut, on n’a pas besoin de se causer tous les deux. C’est con ce que je viens de dire… quoique, certains soirs, quand j’ai un peu trop tutoyé la dive bouteille, on a de longues discussions, enfin, quand je dis « discussions », je parle. Je parle avec sa tête amoureusement posée sur mon genou, je parle de ma douleur, de ma solitude, de mon désarroi et les grands yeux mouillés du vieux briard me crient qu’il partage ma peine, qu’à lui aussi ELLE lui manque beaucoup, que lui aussi est malheureux. Alors j’éteins l’ordinateur où je me passe en boucle des photos d’ELLE, de nous, des jours heureux, des jours de vie et de projets… puis je m’écroule sur le canapé (aussi défoncé que moi) de mon « bureau » histoire de replonger dans mes cauchemars familiers.
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