Philippe Moati

Philippe Moati est enseignant-chercheur, professeur d'économie à l'Université Paris-Diderot, spécialiste de la socio-économie de la consommation et du commerce. Il est le cofondateur de l'Obsoco (l'Observatoire société et consommation) qui vise à comprendre les mutations de la société et de la consommation, développer de nouveaux concepts et grilles de lecture pour appréhender ces mutations.



La plateformisation de la consommation, ouvrage publié en 2021, nous invite à réfléchir sur l'univers de la consommation. le modèle que nous connaissons, fondé sur le développement de grands centres commerciaux et d'hypermarchés subit une profonde mutation et paraît à bout de souffle : de nombreuses enseignes disparaissent, l'hyperconsommation est remise en question. En parallèle, on assiste à l'essor du e-commerce, des plateformes numériques et des market place : « places de marché » virtuelles. Ce sont des dispositifs d'intermédiation mettant en relation des vendeurs avec des consommateurs ; avec une grande différence : l'exploitant de la place de marché ne se porte pas acquéreur des produits qu'il propose aux consommateurs.



Philippe Moati développe longuement l'exemple d' Amazon, et analyse les raisons de la réussite de ce modèle hyper-efficace : comment le modèle de market place satisfait les besoins les plus pointus, maîtrise les prix, s'appuie sur des compétences dans l'organisation logistique et le traitement des données. Amazon sait innover et bouleverser les codes et augmenter toujours plus son champ d'action, en particulier en matière d'intelligence artificielle et dans le domaine des objets connectés.



Efficacité, mais danger redoutable… L'établissement de quasi-monopole est bien là. Que faire lorsque le nombre d'acteurs économiques de cette taille est infime ? Ne risquent-ils pas, à terme, d'être les seuls et d'imposer leur loi ? Par ailleurs, les réticences des consommateurs se font de plus en plus nettes face à des conditions de travail jugées déplorables, l'encouragement à la surconsommation, l'impact environnemental des activités. L'optimisation fiscale est aussi un sujet très sensible.



Alors que la France ne représente qu'un petit marché pour les géants du numérique (par exemple moins de 5% des ventes d'Amazon), Philippe Moati propose une réflexion novatrice, une contre-offensive visant à redéfinir d'autres règles du jeu beaucoup plus favorables aux acteurs économiques nationaux et européens et à leur redonner un nouveau souffle. Une des pistes les plus prometteuses : reconsidérer la nature de la relation marchande. Réfléchir à une logique de service, apporter des solutions à des problématiques que rencontrent les clients, plutôt qu'à une logique visant à fournir une transaction et un produit.

La réussite implique que les politiques publiques, européennes, nationales et locales contribuent à mettre en place ces nouveaux modèles économiques qui doivent faire appel à plus d'originalité. Il faut également renoncer à vouloir obtenir des résultats trop rapides et renoncer au court terme - ces changements en profondeur doivent au contraire être évalués sur une plus longue période.

La plateformisation de la consommation : Peut-on encore contrer l'ascension d'Amazon est un ouvrage documenté, qui s'appuie sur une analyse économique et des démonstrations éclairées. Si certains passages demandent des connaissances économiques assez pointues, la plus grande partie de l'ouvrage reste très accessible. Des notes de bas de pages fournissent des explications complémentaires et des notes bibliographiques pour qui veut aller plus loin dans sa lecture et sa compréhension des mécanismes en jeu. Nous sommes toutes et tous des acteurs économiques, réfléchir à la consommation en général, et à notre propre façon de consommer est important. Cet ouvrage a le mérite de poser les bonnes questions, et d'ouvrir le débat.



Je remercie Masse Critique de Babelio, ainsi que les éditions le débat /Gallimard, de m'avoir adressé La plateformisation de la consommation Peut-on encore contrer l'ascension d'Amazon ? afin d'en faire la critique.

Cette étude fouillée sur l'évolution du commerce mondial tombe à pic après l'accélération de la numérisation des modes de vie durant les périodes de confinement. L'auteur aligne des données édifiantes et paie de sa personne lorsqu'il rencontre des plateformes locales mises en place avec l'aide des pouvoirs publics pour faciliter l'accès des petits commerces (contraints à la fermeture) aux consommateurs.

Je retiens la force de frappe des géants du commerce électronique, la grande la taille des plateformes entraînant des rendements croissants, dû à un effet de masse, à la fois par le nombre de vendeurs ( 8 millions sur Amazon) et les notes et commentaires des acheteurs toujours plus nombreux, triant les bonnes et les mauvaises affaires, ce qui entraîne une concurrence féroce entre vendeurs de produits similaires .

J'ai été sidéré d'apprendre que sur les 8 millions de vendeurs, seuls 2.9 millions auraient réalisé au moins une vente en 2019. L'essentiel est d'être visible.

L'Europe ne joue pas dans la cour des grands : l'orient à Alibaba, l'occident à Amazon. Il faudrait, recommande Philippe Moati, une coalition des grands distributeurs européens afin d'enrayer l'hégémonie néfaste à long terme d'une poignée d'opérateurs.

Comment exister face aux quelques maîtres du marché :

- être une grande marque à forte notoriété et développer sa propre place de marché (marketplace)

- être une marque de niche très spécifique et viser un public cible, en développant avec lui un dialogue sur les réseau sociaux

- être un commerçant ou une petite entreprise qui envisage sa présence en ligne comme un enrichissement du service rendu à sa clientèle et non comme un instrument de conquête.

Après voir lu cette très intéressante radioscopie de l'e-commerce pressé de conquérir le monde, les lecteurs (six actuellement) auront à coeur de continuer à se fournir à la boutique du coin. J'espère que vous ferez de même, même si vous n'achetez pas ce livre.

C'était ma quatre centième notice; c'est tombé sur un sujet de société et non une fiction de loisir. Ce hasard correspond à ma raison d'être sur Babelio : attirer les regards sur des textes méconnus et pourtant dignes d'être vus, achetés, lus et transmis.

J'ai aimé ce livre pour deux raisons principales :

- Il décrit en profondeur les mécanismes économiques sous jacents au modèle des grandes marketplace.

- Sa présentation du modèle de l'intégrateur de services qui part du besoin du consommateur à servir plutôt que du produit à écouler est bien argumentée comme une possibilité de contrer le risque hégémonique des grandes plates-formes type Amazon.



Cette thèse a pour moi ses limites dans notre contexte de désastre climatique. Comme le laisse entendre Philippe Moati sur l'exemple de l'automobile, il y a une modification des chaines de valeurs qui tend à réduire l'importance des constituants physiques des produits. Et cela conduit à toujours plus d'utilisation des ressources limitées de la planète qui ne se voient pas affectées la valeur véritable de leur utilisation.



Le besoin d'une véritable réponse du domaine citoyen et du domaine politique est esquissée en conclusion. Elle est une bonne ouverture vers un débat qui peut être enrichi par les lectures de Philippe Bihouix (l'age des low tech) et Éric Sadin (Faire Secession).