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Citation de Iboo


Iboo
10 février 2017
LA GRANDE BATTUE

La chasse est ouverte. Pour les scouts de la bonne pensée, pour le petit peuple des commentateurs, biographes, universitaires, journalistes d'investigation et fabricants de thèses, c'est devenu une occupation à temps complet. Ces gens-là, désapprouvent la chasse réelle, mais ils raffolent du gibier symbolique. Tout homme illustre, entre leurs mains, peut devenir une bête aux abois. Le nouveau monde vertueux des louveteaux de la Vigilance a en horreur les écarts de conduite des individus d'exception. Ils les dénoncent en chaire. Ils les stigmatisent. Ce sont les propagandistes de la nouvelle foi. Mouchardage et cafardage sont leurs deux mamelles.
Chaque jour nous apporte sa brassée de révélations. Tantôt c'est Michel Foucault dont on nous explique l'oeuvre complète à travers sa fréquentation des boites sado-masos californiennes ; tantôt c'est Brecht, qu'on nous montre en tyran répugnant, signant des pièces écrites par ses maîtresses. Et voilà encore Cioran admirateur, dans sa jeunesse, du fascisme roumain ; Graham Greene haineux, pédophile et raciste ; Bruno Bettelheim plagiaire, bourreau d'enfants, menteur, imposant à ses proches les méthodes des camps nazis faute d'avoir pu en surmonter le souvenir. Quant aux frères Lumière, qui devaient orner les nouveaux billets de banque, c'est de justesse qu'on s'est rappelé leur admiration pour Pétain ainsi que les francisques dont ils se laissèrent décorer pendant l'Occupation.
A qui le tour ? Que ne va-t-on encore découvrir ? Que Beethoven tournait autour des pissotières ? Que Stendhal attendait les petites filles à la sortie des écoles ? Que Cervantès a volé le manuscrit de Don Quichotte à sa voisine ? Nous avions déjà eu Marx pourvoyeur de goulags et séducteur de bonnes ; Heidegger nazi jusqu'au bout du Dasein ; Henry Miller érotomane et antisémite ; Picasso et ses épouses martyyres ; Hemingway et son impuissance.
On peut désormais écrire à peu près n'importe quoi sur n'importe qui, à condition que celui dont on parle en ressorte disqualifié, ruiné, ridiculisé. A condition qu'il devienne "une affaire". Un dossier sordide à classer. Un sujet d'enquête d'intérêt général.
Il y a quelques mois, j'ai même entendu, à la télévision, une dame (auteur d'un livre sur les artistes et leurs "muses") déclarer que Balzac ne devait son génie qu'à Mme de Berny. C'est elle, la Dilecta, qui lui avait tout appris. Et d'ailleurs, lorsqu'elle est morte, continuait cette poufiasse, Balzac n'a plus rien fait de bon. Plus rien, en effet. A part César Birotteau, Splendeurs et misères des courtisanes, Le Cabinet des Antiques, La Rabouilleuse, Une ténébreuse affaire, La Cousine Bette, Le Cousin Pons et une bonne cinquantaine d'autres chefs-d'oeuvre.
On n'étudie plus les génies d'autrefois. On ne les admire plus. On les débusques. On les capture. On les fourre à l'autoclave, et on voit ce que ça donne. Et malheur à ceux qui se laissèrent aller, fût-ce sous forme de plaisanterie, à exprimer le moindre soupçon de misogynie, de xénophobie ou de désapprobation du monde tel qu'il va !
Le passé, tout le passé doit être massacré.
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