A compter du VIIIe siècle, des guerriers scandinaves commencèrent à lancer des raids qui s'étendirent sur toutes les côtes de la mer du Nord, de l'Atlantique et de la Manche, tant à l'Est qu'à l'Ouest. Certains de ces guerriers forgèrent des dynasties par la force de l'épée et devinrent célèbres, comme Rurik à l'Est, Ragnar Lodbrok en Grande-Bretagne ou encore Rollon en France.
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En 911, Rollon traita avec le prince local, Charles III dit "le Simple", roi des Francs, pour s'engager à repousser ses compatriotes en échange d'une terre. Il fonda ainsi la dynastie des ducs de Normandie, qui se rendrait célèbre par l’invasion de l'Angleterre en 1066.
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Ces "Danois", implantés en Normandie, ne semèrent pas seulement le trouble au Nord. En effet, dès le début du XIe siècle de nombreux mercenaires normands se rendirent dans le sud de l'Italie, se mêlant aux luttes régionales entre catholiques romains. Grecs et sarrasins, d'abord pour ceux qui les avaient engagés, puis pour leur propre compte. Ils finirent ainsi par fonder leur propre royaume, le royaume de Sicile, en 1130, sous l’égide de la famille de Hauteville, qui, selon la légende, descend directement d'une famille de pirates scandinaves implantés en Normandie.
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Osmond d'Avesnes, également connu sous le nom d'Osmond Quarrel ou Drengot, fait partie de ces premiers aventuriers normands partis en Italie du Sud pour y chercher fortune au début du XIe siècle. Le duc Richard l'a banni et nous le retrouvons dans les Pouilles avec ses frères à la bataille de Canosa, là même où Hannibal a anéanti l'armée romaine en 216 avant Jésus-Christ.
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A Aversa, en Campanie, puis en Calabre et en Sicile, ils fondent un royaume où vivront ensemble pendant plus de cent ans juifs, chrétiens et sarrasins.
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Plus tard,pendant que le pape Urbain II a lancé la première croisade contre les infidèles, en Italie du Sud, là même où Osmond expira, les Normands commencèrent à créer un royaume. On dit qu'il fut respectueux de chaque religion. Pendant que le roi chrétien priait dans sa basilique de Palerme, les juifs fréquentaient les synagogues, les musulmans apprenaient le Coran, les Grecs avec leurs popes suivalent leurs dogmes. Les décorations byzantines de Palerme, mêlées aux vestiges grecs, arabes et normands témoignent d'un souffle créateur qui rayonna. Unis, les hommes se sont entendus sans parler la même langue. Chacun apprenait celle de l'autre. Sur cette terre couverte de citronniers, d'orangers, d'amandiers, l'Occident et l'Orient se sont alliés, léguant au monde un exemple inédit d'une construction commune.
«Un palimpseste est un parchemin que les copistes du Moyen Age effaçaient pour écrire un autre livre. On a vu des fragments qui ont été utilisés trois fois. Ils ponçaient l’encre puis réécrivaient. C'est une question de coût. Imaginez, pour écrire une Bible, il fallait plus de cinq cents peaux de mouton ! »
Mike prit une loupe et put déchiffrer le titre suivant : Fama praeclara Osmond Avisnis Norman milite par Rodulfus Glaber.
Foudroyé par sa découverte, il s'écroula sur une chaise.
«Osmond d'Avesnes, Osmond d'Avesnes, qu'en savons-nous ?» demanda-t-il aux élèves rassemblés en demi-cercle autour de lui.
Jordi Casai répondit :
« Orderic Vital, moine anglo-normand, l’un des premiers narrateurs de l'épopée des ducs, écrivit à peu près ceci : le duc Richard était à la chasse dans la forêt de Lyons, ce n'est pas loin de Rouen, précisa-t-il, lorsque deux seigneurs, Osmond et Guillaume forçaient un sanglier. Osmond l'atteignit en premier. Guillaume, piqué dans son orgueil, dit tout haut qu'il cédait à son rival cette faible victoire car sous ce même arbre il avait triomphé d'Adeliza, la jeune sœur d'Osmond.
C'est cela, dit le maître, exactement cela.»
Tous se connaissaient. Les tanneurs dont le quartier puant s’étendait sur les rives de la Renelle côtoyaient les teinturiers et autres travailleurs du cuir aux tabliers élimés. Ils ne se parlaient guère entre eux. Plus loin, on voyait les drapiers et leurs penteurs qui transportaient le linge sec. Ils vivaient de l'autre côté de la ville sur les bords du Robec dont l’eau, affirmaient-ils, assouplissait les étoffes. Les meuniers suivis de leurs apprentis étaient là, eux aussi, enchantés de cette pause inespérée. Les pêcheurs de la Seine avaient délaissé leurs barques. On les sentait de loin. Un effluve âcre prenait la gorge comme si la foire était ouverte, sans fruits, ni légumes, ni poissons, mais seulement des spectateurs qui empestaient leur métier, baignés par un soleil ingrat et un vent mauvais. Les juifs qui habitaient non loin de la Tour étaient sortis de leurs maisons. Quelques moines orientaux du mont Sinaï, reconnaissables à leur bure en laine foncée, égrenaient les grosses boules de bois de leurs chapelets. Juste à côté d'eux, un groupe de pèlerins, récemment arrivé de Terre Sainte, psalmodiait. À l'arrière, étrangers à ce qui allait se jouer et agacés par ce contretemps, deux marchands danois attendaient. Des infirmes aux pieds coupés tendaient la main en quête d’aumône, heureux de cette journée de bénéfices inattendus. Ce jour n'était ni un dimanche, ni un jour de fête, pourtant les Rouennais de toutes conditions s'étaient donné rendez-vous sur la place principale de la ville.
Sois patient, mon frère, respectons le sommeil d'un mourant. Il tutoie Dieu.
J'ai jeté mon mégot et levé la tête. Je pensais au cimetière de Levallois surplombé par une usine de jambon. J'ai souri, j'ai repensé la scène et j'ai dit ou plutôt murmuré "Non". J'étais prêt pour mon destin.
Avant de reposer le crayon, Pauline a rayé le nom de sa fille sur le petit bout de papier et a marqué "ne pas oublier d'acheter du détergent".