Citations de Pierre-Albert Jourdan (56)
Le rebond
La grâce du pessimisme c’est de franchir toujours un
espace plus grand que son ombre.
Sur les bords veillent d’étranges silhouettes.
Une montagne défendant ses à-pics par la vertu de
quelques herbes. Le breuvage est destiné à l’innocent,
quelque part dans le temps qui baille en s’éveillant
avec le luisant de la faux sous ses semelles.
Déséquilibre
Longtemps les mots frappent à la porte
le chiendent ne veut pas céder
la route se perd qui se garde farouche
une pie longe le silence à travers champs
Là, comme une ombre
et le vent se ferait porteur
d’étranges nouvelles
heureux celui qui se contente de son pas
maudit celui qui les entend
Partir
Et pour s’en détacher
nous aurons ensemencé cette terre de mots
l’orage les emporte
L’image tronquée du ciel
les colore parfois – on dirait
de grands jarres éclatées
sous la poussée violente du désir
d’accéder à la lumière
Plus loin que la houle des oliviers
bien plus loin que le gel
comme un murmure incontrôlable
ce front naissant de l’aube
porteuse d’évidences
Pensée fidèle
Elle a son nid plus loin
dans ce buisson de chêne vert
lointain feuillage couleur de lune
surplombant l’eau et c’est à peine
si l’image des pins déchiquetés, vivant
vient y faire courir quelque ride
Le jour se lève
non pas ce bruit rouillé
de la mort journalière
mais cette gloire silencieuse
ouvrant les nids
rien ne bouge
que quelques grains de lumière
roulant au bord d’une paupière
La crête
Il n ’y a plus de refuge
tout est dangereusement à vif
tiré jusqu’à l’usure
la lassitude s’ouvre aux raisons de feu
Avec cela faire son pain
à partager encore
avec l’innocence et les fous
refusant d’assigner sa place à la beauté
En creusant
Le silence est notre chambre depuis toujours
les solitudes ne peuvent s’atteindre
qu’à travers de multiples déchirures
et c’est sans doute le sens ultime
de la lente pénétration de la terre dans nos corps.
Fleurs de cerisiers
Le petit espace de temps où tu traverses les fleurs du cerisier, éclatantes au soleil, déjà s’effaçant comme neige, c’est toute ta vie que tu traverses ainsi d’un regard. Elle est ce pur espace comme il va s’effondrer d’un nuage, d’une brume, d’une nuit ; ce pur espace qui tremble dans l’espace et qui ne se déploie que par blessures, jamais glissade heureuse, sinon de ce regard accroché un instant à un blason de vert tendre et de blanc. Ceci n’est pas compté, jamais, cette somme de ta vie ! La blessure est ancrée dans le corps mais lui n’a pas de racines – pas encore – il porte ces fleurs comme un aveugle (en une nuit parfois il ne reste que cette promesse du fruit – trop rouge le fruit !), il porte ces fleurs, il les broie avec ses pilons d’os.
Ô poudre commune, comme nos chemins sont légers !
Prière
Que l’innocence demeure
qu’il lui soit donné de pouvoir se perdre dans l’inutilité de ce monde
qu’elle soit suffisamment forte pour oublier de le clamer
que dans son silence où elle éclaire il n’y ait pas d’obstacle à son silence
qu’elle soulève ce monde las et danse dans sa poussière
que son sourire de fleur soit à jamais inscrit sur mes lèvres lorsqu’elles
deviendront givre
qu’elle soit l’innocence à jamais
Que d’aucuns puissent s’en saisir qui voudront sauter hors du bourbier
qu’elle soit ; ce que de toujours l’affirme ce dialogue de terre et de ciel à l’écart des chemins imposés
qu’elle soit cette folie, suffisamment sourde, receleuse de source pour que
tant de soifs s’y abreuvent.
Amen.
Marcher
Pierre et poussière du chemin,
homme désagrégé, homme comblé
tout entier dans cette image de son sang,
de son avenir de silence ;
lente et lourde pierre poussiéreuse
qui dévale le sang abrupt,
long cri se délivrant
de l’étouffant tableau de calme inaccessible
le corps soudain se connaît cible,
se fait violence
à portée de la masse obscure
qui l’étreint.
L’avenir en loques
Toujours les choses se dérobent et laissent
le regard errer sur cette nappe de clarté
dont la douceur n’est que l’approche de la pierre
pour de violentes noces imparfaites.
Et l’entaille demain à la mesure du corps entier,
de quel cri s’éveillera le chemin ?
Sous les paupières d’amande
glisse le fruit des larmes évaporées,
dur sommeil, long soleil de la besace des pauvres.
À la rencontre d’un pin
La parole chargée de guérir a dressé cette ruine
de quelques chardons bleus, de poussière et de vent ;
ce chemin où la mort, empoignée par tant de mots,
comme un figuier portant ses fruits dans un vieux mur
et l’embellie de lierre sur la porte fanée,
se referme sur le devenir joyeux,
le lointain, très lointain murmure
d’un pin amoureux.
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L'air au goût de sauge
abeilles et lavandes dans le même soleil
ombre douce de l'amandier...
Le vent chasse le vent
mais qui parlerait d'usure ?
Les distances sont au coeur
comme neige d'avril
l'âcre goût d'un signe
en fraude et qui s'éteint
Mais la brûlure sur nos visages démunis
et les traces peut-être dans la mémoire
ô lumière suppliciante !
Pour que l'herbe retienne encore
ce tremblement d'espace
...
Un creux d'herbe vivante
où le visage même du néant
arrache un peu de sa tendresse
au mouvement du coeur le plus vaste
et le sang de la ronce sur les mains
pour retrouver la source de l'espace
Le dépourvu
Extrait 15
Il n’y a rien,
il n’y aura jamais rien
à dire
de ce qui seul
nous fait parler.
//Roger Munier (21/12/1923 – 10/08/2010)
Le dépourvu
Extrait 14
Il cherchait le mot,
le dernier mot.
Celui qui mettrait fin
au dire harassant,
à l’inutile parole.
Ce ne pouvait être
qu’un seul mot.
//Roger Munier (21/12/1923 – 10/08/2010)
Le dépourvu
Extrait 13
tendre est le rien
qui foudroie,
qui hors sa nuit
ne peut que foudroyer.
Tendre est sa nuit.
//Roger Munier (21/12/1923 – 10/08/2010)
Le dépourvu
Extrait 12
Reste à voir
dans ce qui est
ce qui n’est pas.
Dans la rose,
la rose sans-la-rose.
Rose.
La…
//Roger Munier (21/12/1923 – 10/08/2010)
Le dépourvu
Extrait 11
Le rien n’est pas le terrible.
Le terrible est le combat
au jour vibrant de l’apparence
– cette agonie.
//Roger Munier (21/12/1923 – 10/08/2010)
Le dépourvu
Extrait 10
Non, le jour n’élude pas la nuit,
mais bien la nuit, le jour.
Ce qui est là n’est là
que pour être effacé.
//Roger Munier (21/12/1923 – 10/08/2010)
Le dépourvu
Extrait 9
Arbre ne dit pas l’arbre.
Arbre ne dit que soi.
Ce que dit le mot arbre
en ne disant que soi,
Mais nul ne peut l’entendre.
//Roger Munier (21/12/1923 – 10/08/2010)
Le dépourvu
Extrait 8
Toute chose
sur soi se referme,
sur son centre et sa nuit.
Tout ce qui s’ouvre
est blessure.
//Roger Munier (21/12/1923 – 10/08/2010)