Si la création peut sembler un acte solitaire, elle est l'un des liens les plus intenses avec l'autre. Dans la création en effet nous donnons le meilleur de nous-mêmes, nous nous libérons de nos masques ou à tout le moins, de certains d'entre eux, nous remettons en question les faussetés ou les illusions qui nous paralysent, nous allons au delà de nous-même. (...)
La création invite l'autre à faire de même, non pas à imiter ou à copier, mais à créer à son tour.
D'ailleur, il est impossible pour l'homme d'accomplir quoi que ce soit s'il ne part pas de ce qu'il est.
Pour aller loin, il faut d'abord faire le premier pas, partir du plus près. C'était d'ailleurs tous le sens de l'entreprise nietzchéenne : réconcilier, à l'encontre de l'idéalisme chrétien, l'homme avec lui-même, avec le corps et avec la terre. Il ne s'agit pas d'une philosophie de l'autosatisfaction puisque, en partant de lui-même, l'homme avancera et créera. Si l'homme crée «par-delà lui-même», il le fait toutefois en s'appuyant sur lui-même tel qu'il est, avec ses faiblesses, ses soi-disant défauts, par exemple son égoïsme es son agressivité, enfin avec l'intelligence de son corps entier reliée à celle de la terre. Si l'on ne part pas de ce que l'ont est, on ne va nulle part, on ne parvient même pas à partir.
Comme nous le disons l'un et l'autre, l'amour ne se conjugue qu'au présent. Il est ou il n'est pas. Qui plus est, pour vivre et pour aimer, nous devons faire le deuil de passé. Traîner celui-ci avec soi, c'est empêcher le présent d'advenir et de s'épanouir.
L'homme est un être de terre et de chair, et on ne tient pas suffisament compte de ce qu'il est. On le prend pour un esprit, on a de lui une vision abstraite, et on l'oblige à se conformer à une telle vision.
Surtout qu'en tant que philosophe, je suis, à l'instar de Socrate, quelqu'un qui « sait qu'il ne sait pas ». Et cela n'est pas une simple formule. Cela est rigoureusement vrai. Si l'on pense savoir, c'est qu'on demeure à la surface, à des images, à des idées, à des préjugés, à des faussetés. Face à l'amour, je l'avoue : je ne sais pas ce qu'il est. Je ne peu que tâtonner à son sujet. Je sais qu'il ne peut se définir ou que l'amour qui se définit n'est pas l'amour. L'amour est plus subtil, plus vivant, plus grand que tout ce que nous pouvons en dire.
Nous aimer en dépit de toutes les raisons de nous detester. Nous sommes pas parfaits, un être parfait n'est qu'un fantasme, la réalité est autrement plus subtile, mouvente, vivante. S'aimer soi-même, sans vanité, sans forfanterie, ou plutôt aimer l'être vivant, aimer la vie, s'aimer comme un don ou une grâce, comme le numéro chanceux sorti de la loterie de la chimie et de la bilologie.
Louis,
Je continue donc mon investigation philosophique sur l'amour. Tu sais que pour moi, la philosophie et la vie ne font qu'un. La philosophie doit être incarnée; si elle est amour et sagesse, celle-ci n'existe que dans la vie. Ce n'est pas une affaire d'idée ou d'idéal. Philosopher pour moi c'est comme méditer. Cela consiste à voir la réalité telle quel est - ce qui, tu l'admettras, n'est pas une petite affaire. Surtout quand cette réalité est quelque chose d'aussi vaste, d'aussi multiple, d'aussi insaisissable et indéfinissable que l'amour.
En nous comparant, nous sommes à côté de nous-mêmes.