- L'Afrique, conclut l'ingénieur, pour y comprendre quelque chose, il faut souvent passer par la case "absurde". Tu verras, c'est vachement pervers.
Officier de renseignement, c'est vivre au cœur du silence. Sans larme ni cri, ombre au théâtre des ombres, français sans identité, emmuré dans une vie qui n'est pas la sienne. Il faut aimer le silence pour accepter de vivre non seulement avec lui, mais en lui. Je le respecte autant que je le déteste. Je lui dois la vie. Il me doit le prestige. À lui, les lauriers. À moi, le mutisme. Son étreinte que j'aime et qui m'accable, ce devoir de servir les miens, Gaulois bigarrés de Navarre et d'ailleurs, cet engagement d'une vie que j'emporterai dans ma tombe, donne une saveur singulière à l'existence. Mais qui suis-je ? Qui serai-je dans vingt ans ? Un soldat sans souvenir ? Peut-être. Je ne sais pas. Ceci est mon secret
Afrique. République du Sakénia. Le ventilateur de l'aéroport était tombé en panne l'année où un bagagiste avait uriné sur le circuit électrique pour manifester contre un licenciement jugé abusif. La police de l'air et des frontières avait retrouvé son cadavre dans la position du Manneken Pis. Depuis, il faisait une chaleur épouvantable dans le hall d'arrivée.
A l'instar de ceux qui pensent que les brebis se ressemblent toutes, Victorien ne différenciait pas le visage des citadins, ces hommes et femmes convaincus d'appartenir à la forme la plus aboutie de la chaîne des êtres vivants et qui, non contents de se croire doués de raison, exerçaient leur névrose sur l'environnement.
Saisir la bonté de son visage réclamait tant de mansuétude qu'au village, on préférait se moquer de lui et raconter qu'à force de vivre avec ses bêtes, il avait épousé leur destin, celui d'un sauvage.
L'Afrique c'est une lumière qui plisse les yeux, une étuve qui transforme les Blancs en zombis, ces gens qui se croient civilisés en débarquant, et qui ne tardent pas à comprendre qu'ils seront des micro particules sur un continent sans clôture ni mesure.
L'Afrique un ciel infini et des nuages en liberté à la verticale d'une fourmilière humaine qui chante, braille, invective.
L'Afrique enfin, ce bordel, quelle merveille!
L'Afrique, plus qu'un continent, c'est un coup de poing dans la gueule, une remise à zéro des compteurs, une terre brûlée qui embaume avant de clouer au sol la moindre bestiole vaguement humaine. Les heures y sont lentes, les aisselles humides, la vie fragile.
L'Africain aimait naviguer sur ce lac aux rives sauvages, image éclatante d'une Afrique ayant bâti sa légende sur des espaces infinis. Ici, l'asphalte ne rayait pas les villages des cartes. Il n'y avait que du silence à méditer et du vent à embrasser.
(...)la hiérarchie est un tabouret de pendu. La vue est belle, mais faut pas s'casser la gueule.