Je me confronte aux illusions d’autres mondes parallèles à celui de l’hôpital, ceux des réseaux sociaux. Je les perçois subitement comme autant d’outils de propagande du bonheur. Si je veux partager ma réalité, je risque de blesser ou de choquer mes contacts. La vérité blesse. Ma vérité blesse. Je m’étonne aussi d’observer qui de mes amis demande des nouvelles de Stéphanie. Certains auquel je ne m’attendais pas ; d’autres dont le silence m’est assourdissant. C’est le cas d’Arthur, l’un de mes amis les plus proches. Comme lors des précédentes opérations de Stéphanie, il ne m’a rien envoyé. Pas le moindre message. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu qu’il avait vu les deux photos postées sur Facebook et qu’il était heureux de voir comment nous affrontions la maladie, avec un esprit positif. C’est vrai, nous sommes courageux ou, plus exactement, Pierre et Stéphanie sont courageux. Mais les photos postées ne correspondent pas à notre réalité, à ma réalité, beaucoup plus dure. Devrais-je partager cette réalité sur les réseaux sociaux ? Peut-être, si Stéphanie me le permet. Je me sens à l’arrêt, débranchée, pendant que mes contacts continuent à vivre leur vie, gentiment. Ça me fout la gerbe et je les emmerde. (pp.13-14)
Elle semble sereine, habitée par une force tranquille. C’est elle qui va bientôt être opérée, qui va passer plusieurs heures sur le billard, mais c’est moi qu’il faut apaiser. Elle me caresse le front et les cheveux avec tendresse. Cette préoccupation me déborde une nouvelle fois : et si elle ne se réveillait pas ? Je ne puis imaginer une vie sans Stéphanie. Si elle meurt, je meurs aussi. À cela se double cet éternel sentiment d’injustice : pourquoi elle ? Pourquoi pas moi ? (…) Tant qu’elle ne sera pas réveillée, sortie d’opération, je serai sur le billard avec elle. Ailleurs. (pp.11-12)