Pierre Leterrier

S'il se levait, s'il s'approchait, il ne pourrait plus râler contre les attitude revêches des filles, vu que s'il suffisait qu'elles adressent un sourire à un mec pour que celui-ci se croie autorisé à venir s'asseoir près d'elles, rien d'étonnant à ce qu'elles sourient le moins possible. (p.142)

ça lui retirait quoi ?
ça lui coûtait quoi ?
Il se le demandait et sa gêne, sa honte tournaient en colère contre ces cons-de-beaux qui ont horreur, ou font mine d'avoir horreur, qu'on les regarde, alors qu'ils devraient comprendre que c'est normal, genre taxe acquittée au profit de la collectivité en échange d'un truc qu'ils ont reçu gratis et qui leur rapporte un max. (p.140)

On peut voir la beauté là où elle est, en être ému sans être classé ni se sentir obligé d'adhérer à un groupe, un clan, une tribu, une meute. C'est l'ignorance haineuse de cette évidence qui le rebute chez Frangier.
Donc, ça se confirme : les mots n'inventent pas, ils "révèlent", et... il n'aime pas l'esprit de meute.
C'est cet esprit qu'il a décelé chez Frangier. (p.136)

Les mots n'inventent pas, ils révèlent, éclairent, donnent à saisir ce qui fuyait. (p.136)

Les détestations qu'on cultive envers les "différents de soi" rassurent parce qu'elles attestent une appartenance au clan opposé - celui dont on veut être ! - et permettent, par allégeance, de trouver place dans une meute. (p.133)

Il conclut : le dénigrement et l'exclusion de l'autre confèrent à celui qui s'y laisse aller une identité qui atténue la difficulté d'être. (p.133)

Comme si c'était écrit sur son front, ce qu'il est, ce qu'il n'est pas.
Et impossible de lui faire admettre que Vilmon pourrait être simplement un petit intello coincé, éventuellement doublé d'un fils à papa qui n'a pas vu grand-chose en dehors des bouquins et ne sait pas comment se tenir. (p.127)

Sont-ils justes, ces mots, ou simple étiquetage hâtif d'une sensation vague à grand renfort de notions aussi approximatives que convenues ?
(...)
Il ne peut non plus, en toute honnêteté, se satisfaire d'un : "T'es donc pédé !", qui rangerait cette sensation dans une catégorie définie alors qu'elle semble beaucoup plus riche et liée avant tout à lui-même, à sa façon de percevoir le monde autour de lui.
Le monde et les autres. (p.124)

...la confiance de celui qui ne doute pas d'obtenir bientôt, en retour d'investissement, la chaude complicité, la rassurance joyeuse, la puissance tranquille, l'impunité enfin et la bonne conscience que garantit le respect des normes de la tribu.
Du clan.
De la meute. (p.118-119)

Faut s'élancer, briser ce qui entrave.
(...)
Il suffit de prononcer le mot et quelque chose se crispe, se fige, se bloque.
C'est le mot, ces saloperies de mots : ils provoquent ce qu'ils murmurent.
Ce sont les mots qui nouent.
Les mots.
Ils insinuent.
(...)
Les mots, pareil. Suffit de les prononcer, de les laisser chuchoter, et tout part en vrille.
(...)
Les mots : des enveloppes mortes que son corps fait voler dans sa course, feuilles desséchées, inutiles.
(...)
Voilà, les mots, les questions, les doutes sont les méandres merdeux dans lesquels il ne faut pas tomber. (p.114-116)

Dire à un mec qui vous dépasse d'un bon peu : "T'es trop môme pour comprendre !", c'est s'exposer à se faire rire au nez et toiser de haut en bas. (p.108)

A ce moment, il a osé s'avouer un peu fatigué des coups de Frangier : prendre un type en grippe, se monter la tête puis flanquer une dérouillée plus ou moins sévère au gus qui, après, rase les murs quand on le croise et s'en fait remettre une, vu qu'on a horreur des "pétochards-qui-rasent-les-murs". (p.82-83)

Parce que c'était bien.
Voilà.
Simplement "bien" de prouver à Vindel que les élèves ne sont pas -
Quoi ?
Ce qu'il croit.
Ce qu'il dit.
Ce que génèrent ses méthodes abjectes.
Car c'est lui, ses exercices idiots, ses punitions délirantes, ses airs d'adjudant, qui fabriquent le troupeau méprisé, méprisable.
Enfin... un peu, en partie et... On peut essayer de se le dire, de le croire et...
Et de toute façon c'est bien de prouver qu'on est autre chose, ou du moins qu'"on peut essayer" de l'être. (p.69)

Parce que, si tout le monde n'a pas été complice, qui, à part les faux-jetons, les fayots, qui peut nier avoir jubilé de l'effet "Carambar" et regretté de ne pas y avoir été associé parce que -
Parce que c'était bien.
Voilà. (p.69)

- Bonne idée. Si vous l'adoptez, je m'engage à présenter cette expression de votre contrition - j'aime beaucoup "contrition"... pas vous ? - au proviseur qui tentera de convaincre monsieur Vindel de l'accepter avec... magnanimité... j'aime beaucoup "magnanimité". (p.67)

- Toute la classe, persiste Vilmon conforté. Parce que, madame, toute la classe le trouve odieux, Vindel.
- "Monsieur" Vindel.
- Il tabasse Dietrich...
- Le père l'a malheureusement autorisé, par écrit.
- Mais, madame, comment l'école peut-elle prétendre faire de nous des êtres raisonnables et respectueux des lois, s'il s'agit qu'un arbitraire jouisse du soutien d'un autre arbitraire pour acquérir force de droit ? (p.64-65)

- "J'ai fait la guerre aux fellagas, c'est pas vous qui...", claironne-t-il souvent, son regard parcourant la classe avec arrêt sur tous les visages où il croit déceler quelque chose d'"étranger" jusqu'à se fixer sur la peau noire de Baco, afin qu'on mesure bien l'étendue de ses haines, de ses obsessions... (p.56)