Pierre Pesme

Maîtriser les schémas de conjuration n'était que la première étape d'un apprentissage long et éprouvant : marteler sous le soleil d'inoffensifs symboles gravés dans la pierre était une chose, descendre parmi les tombes pour se confronter à d'authentiques glyphes d'effroi en était une autre. Rien ne vous y préparait totalement.
Les Azulites n'avaient que faire de murs pour garantir l'inviolabilité de leurs tombeaux et en interdire l'accès aux vivants ; la peur était un outil autrzment plus efficace et ils avaient appris à la manier avec virtuosité. Chacune de leurs sépultures était ainsi placée sous la protection d'un ou plusieurs glyphes d'effroi.

Par-delà les pierres levées, une masse sombre surgissait du sol et grimpait à l'assaut du ciel avant de s'achever en un éperon de roc déchiqueté tendu vers l'Espérie. Quercemont. De loin la colline évoquait l'étrave d'un gigantesque navire de pierre en train de sombrer, impression que venait renforcer le ciel houleux en arrière-plan. L'orage les avait finalement rattrapés : alors que Bérain poussait sa monture entre les pierre levées à la suite de Bror, un éclair mauve déchira la panse boursouflée des nuées pour s'abbatre quelque part à l'ouest. Dans cette clarté soudaine, l'un des mégalites projeta une ombre noire et menaçante qui recouvrit la troupe de son voile.

Il ferma les yeux et poussa un soupir désabusé. « Scribes et contremaîtres, éclaireurs et exhumeurs...La vérité, c'est que malgré les titres ronflants que nous nous attribuons, nous ne sommes jamais que de vulgaires pillards. »

« Les nobles azulites usaient des parfums comme d'un langage, expliqua Landr en trottinant à ses côtés. Leur capacité à attacher durablement une odeur à un lieu ou un objet est évoquée dans certaines chroniques. Pour qui savait utiliser ce langage, une senteur valait mille mots.

La perspective de se tailler une part du butin faramineux qui franchissait quotidiennement les portes de Hall des Exhumations avait attiré tout ce que le pays comptait d'aventuriers , mercenaires et baroudeurs, lesquels traînaient dans leur sillage négociants, tire-laines et putains. Il n'était pas rare d'y croiser également des individus plus exotiques en provenance des pays frontaliers ou des contrées plus lointaines encore, venus chercher gloire et fortune au cœur des terres arides du Sirac.

Les os étaient partout à Gisants. Le bois étant rare et cher dans cette région du Khandrias, les artisans et ouvriers qui œuvraient dans la ville s'étaient rabattus sur le seul expédient dont ils disposaient en abondance et ils s'en servaient de toutes les manières possibles. Entre leurs mains, les macabres fruits du Sirac étaient habilement reconvertis en meubles, bijoux, ou instruments de musique ; ils étaient même présents dans l'architecture de la cité où on les employait en tant qu'éléments décoratifs, voire carrément comme matéraux de construction. Ainsi, au détour d'une venelle, il n'était pas rare de tomber sur un crâne humain intégré à la maçonnerie d'un édifice, vous toisant de ses orbites noyées de mortier.

Les éclaireurs l'appelaient la fièvre des tombeaux. Tous ceux qui fréquentaient la nécropole un peu trop assidûment s'exposaient à ce mal pernicieux qui, une fois contracté, vous rendait littéralement dépendant des antiques sépultures enfouies sous les terres du Sirac, faisant naître en vous le besoin irrépréssible de redescendre les visiter chaque fois que vous passiez plus de quelques jours à la surface. Une addiction aussi incompréhensible qu'irrationnelle au regard des horreurs qui sommeillaient sous terre.

"La peur est comme l'eau, lui avait un jour expliqué Avirès. Tu as beau essayer de la contenir, elle parviendra toujours à déjouer tes défenses, profitant du moindre interstice pour s'infiltrer jusque dans les endroits les mieux défendus. Oh, tu peux retarder les choses en lui opposant des barrages toujours plus épais, des barrières de plus en plus sophistiquées, qu'elles soient mentales ou physiques. Mais tôt ou tard, même celles-ci finissent par s'incliner."

Les Azulites n'avaient que faire de murs pour garantir l'inviolabilité de leurs tombeaux et en interdire l'accès aux vivants : la peur était un outil autrement plus efficace et ils avaient appris à la manier avec virtuosité. Chacune de leurs sépultures était ainsi placée sous la protection d'un ou plusieurs glyphes d'effroi. On savait peu de choses de ces figures énigmatiques gravées dans la roche des cryptes et des caveaux, si ce n'est qu'elles recélaient la terrible faculté d'engendrer la terreur.

Bérain ne sentait plus ses membres, il était incapable d'avancer, de respirer, de penser. La seule chose dont il avait conscience, c'était la peur, la peur qui l'habitait, le possédait sans partage. Tout son être s'effaçait au profit d'une terreur abjecte et omniprésente.