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Critiques de Raymond Murray Schafer (3)
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Le paysage sonore : Le monde comme musique

Avant-hier soir, allongé sur le lit, le poste radio dans les mains à la recherche d'une station écoutable, c'est à dire audible, j'agite l'antenne de haut en bas pour trouver le bon angle qui permettra d'avoir une écoute acceptable, sans trop de grésillements.

La porte s'ouvre, elle me voit le bras en suspens, comme paralysé par la tâche.

- Arthrose ou gainage ?

- Gym sonique !

Position inconfortable pour le confort de l'écoute, vais-je devoir faire l'âne pour avoir du son ?

Me revient en mémoire le pavé trouvé à la médiathèque lors d'un désherbage littéraire, garanti sans glyphosate.

Il s'intitule « Le paysage sonore, le monde comme musique ».

C'est l'occasion de le ressortir, de la pile en équilibre, en évitant de faire tomber les autres, les en attente et les lus, dont Hamnet qui trône au sommet, ce qui ferait beaucoup de bruit pour rien.

Dans cette ambiance vespérale de fin de soirée, un crash de bouquins ferait du boucan, romprait le charme. Heureusement, je l'atteins et le fais glisser entre ses voisins somnolents, sans que la pile, sans énergie, s'affale.

Le silence assourdissant peut continuer de durer.



Paru en 1977 sous le titre « The Tuning of the World », cet essai du compositeur Raymond Murray Schafer est une première dans la transcription de la vie sonore de notre monde.

Le musicologue a entrepris de remettre les sons à leur place, de faire une mise au point - tuning - comme j'essayais de trouver la bonne longueur d'ondes en déplaçant l'antenne.

Il parle de « soundscape », contraction de landscape et sound, ce qui a donné le paysage sonore. C'est donc une histoire et une philosophie du monde sonore qu'il nous propose.

Ecouter le monde, pour ne plus jamais l'entendre de la même façon.

Se mettre en pause, faire silence, se concentrer sur ce qui passe inaperçu dans l'environnement sonore habituel.

Dans le silence, on n'entend plus que l'essentiel.



Au moment où j'écris cette phrase, je viens de mettre en pratique cette activité où je me semble être inactif. Un peu de douceur dans ce monde de brutes, une minute d'écoute en essayant de ne pas réfléchir, fermer les yeux pour mieux capter les sons, juste attendre, écouter, enregistrer pour se souvenir.



Quatorze heures et des poussières, la pendule bat la mesure, le réfrigérateur meugle tel une vache attendant l'heure de la traite, une poule réclame sa pitance habituelle, une mouche tape sur un carreau, une voiture passe dans la rue, la cafetière claque en refroidissant, un volet tape à deux reprises contre un mur, puis le bruit de la pluie sur la terrasse, et là, ensuite, je sursaute !

Un coup de tonnerre inattendu, il me fait ouvrir les yeux, les branches s'agitent à travers la fenêtre, du bleu et du gris, le temps n'est pourtant pas à l'orage, un deuxième coup de tonnerre, celui-ci ne m'a pas fait la même impression, je devais m'y attendre, un chien aboie, puis le croassement d'une corneille, je m'aperçois que je ne fais plus attention au son régulier de la pendule, mais si, puisque je le remarque, l'habitude me joue des tours, stop pour l'écoute forcée, je note par des mots ce que j'ai entendu.



Là, je sens que certains d'entre vous pensent que j'en rajoute, le tonnerre pour faire genre, comme le hululement de la chouette dans les bandes son des films pour les séquences en pleine nuit. Pourtant, ça s'est produit, il n'y a pas eu d'orage, c'est redevenu bleu dehors, une minute particulière, peut-être qu'une autre aurait été plus calme, va savoir.



L'auteur commence son propos par les premiers paysages sonores, la mer, l'eau, le vent, puis le chant des oiseaux, les insectes, les baleines, c'est assez pour les bruits de la vie. Il continue avec les sons de la campagne, puis ceux de la ville, jusqu'au paysage post-industriel avec toutes les manifestations sonores de plus en plus bruyantes.

Ensuite, il analyse. Notation, classification, perception, symbolisme, et enfin le design sonore, rythme, tempo et silence.

Comment percevoir ce paysage sonore ? C'est là qu'il oppose le hi-fi au lo-fi. Dans un contexte naturel, le signal bruit est bas pour que chaque son puisse être entendu clairement. Dans un contexte d'urbanisation, l'information acoustique est trop dense et perturbe la perception.

Pour lui, la nature est une immense composition musicale, avec une harmonie entre les sonorités, et surtout entre les sons et celui qui les écoute.

Le niveau du son a augmenté au fil des activités humaines, jusqu'à devenir insupportable. le paysage sonore s'est dégradé et est devenu inhumain, dérangeant pour nos oreilles.



« Lorsque l'environnement, comme aujourd'hui, atteint une dégradation telle que la voix humaine y est masquée ou submergée, nous avons produit un environnement inhumain. Lorsque les sons violentent l'oreille au point de lui faire, physiquement, courir un danger ou de l'affaiblir psychologiquement, nous avons produit un environnement inhumain ».



Nous avons perdu en qualité du son, mais pas en quantité. Plus il y a de sons, plus il y a de bruit. Et c'est là que le bât blesse, le tympan se fissure, à cause de la quantité et du niveau des sons.

M'sieur Murray Schafer nous invite à rééduquer l'oreille, à réhabiliter l'ouïe, sans pour cela devenir royaliste.

Apprendre à écouter, faire entrer le son dans les programmes éducatifs, partir des bruits urbains « désharmonisés » pour les rendre audibles et fréquentables.

Ainsi, le jingle de la SNCF a été créé en mode mineur pour rappeler les locomotives qui allaient au charbon et pour sortir du train-train quotidien du bruit des roues sur les rails. ( Pffft ! Ça siffle dans mes oreilles, mais ça groove un max, c'est en- train-ant ). N'a-t-il pas été repris par David Gilmour pour en faire le thème d'une de ses chansons ?

Les sons participent au portrait d'une société. Les écouter pour les connaître permet de mieux comprendre notre environnement et contribue à l'apprécier. Ne dit-on pas que la musique est le traitement humain des sons ?

Le monde comme musique, être à l'écoute, passer du lo-fi au hi-fi, se passer des écouteurs, redécouvrir la nature du son.

Entre 2020 et 2021, ce fut possible. Faut-il planifier des plages de confinement pour retrouver l'harmonie ?

Je vais m'arrêter là. Comme le dit MC Solaar, « Le silence est d'or, alors je me tais ».

Je remets le livre en place, délicatement, quelque part entre « Le bruit et la fureur » et « Le silence de la mer ».

Et j'écoute.

The sound of silence.
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Le paysage sonore : Le monde comme musique

Cet ouvrage, c’est toute la richesse d’une révolution, une révolution sensorielle, révolution sensible, réflexive aussi, et architecturale, urbaniste, plus : humaniste et écolo. Scientifique, et toujours à l’écoute du mythe et des lectures symboliques de l’univers. A l’écoute de la nature, aussi, surtout, bien sûr, avec assez de sensibilité pour qu’on se prenne un fix d’embruns lorsque sont évoqués les rythmes et sons de l’océan.

On travaille depuis bien longtemps à ne plus être aveugle, aux gens, aux enjeux, aux animaux, au monde. Il s’agit ici, tout simplement, de n’être plus sourds. S’ouvrir à la bio-diversité sonore, et jusqu’à la beauté du silence – cet espace dont on n’a que trop meublé de bruit blanc le dépouillement sacré – pour « étendre le champ de notre conscience à l’univers et à l’éternité ».

C’est très riche, et c’est tout simple. Avec toute son érudition, vaste comme un répertoire de sons du monde entier à travers les siècles et les oeuvres d’art, avec toute sa maîtrise technique portant sur de nombreux domaines reliés, de l’acoustique à la musique en passant par l’architecture et le design sonore, le livre se lit, se ressent comme un souffle d’air pur dans un environnement vicié, l’évidence d’une brise transportant et plantant ses petites graines. La coulée limpide d’une révolution naturelle.

Qu’est-ce qu’il nous dit, m’sieur Murray Schafer, compositeur et fondateur du World Soundscape Project ? Qu’il faut rééduquer notre oreille, faire entrer le son dans les programmes éducatifs, repenser l’architecture moderne et l’environnement urbain. Que les sons dessinent une ville dans son charme singulier, participent du portrait d’une société. Que les oiseaux ne disparaîtraient pas si facilement, si nous étions attentifs à leur place dans le paysage musical de notre monde, si nous savions identifier leurs chants, leur accorder la reconnaissance du nom. Que nous avons laissé le paysage sonore se dégrader jusqu’à devenir inhumain, hostile à l’oreille, écrasant le bruissement du vivant – jusqu’à, même, glisser hors du champ de compréhension des mythes, nous faisant perdre certaines clefs anciennes, essentielles [...]



Impression de lecture développée sur Psychopompe :
Lien : http://psychopompe.wordpress..
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Le paysage sonore : Le monde comme musique

Ce que je vais vous demander est un peu déplacé sur un site dédié à la lecture et l’écriture.

Fermez vos yeux. Ecoutez…

Que distinguez vous du paysage sonore qui vous entoure? Au début, vous n’entendrez pas grand-chose. Privé de votre sens principal d’appréhension de votre environnement proche, vous semblerez quelque peu perdu et vos oreilles mettront un peu de temps à retrouver leur pouvoir. Passé dix minutes, vous vous apercevrez du nombre incroyable de sons qui sont perceptibles à condition d’y faire attention. Le paysage sonore est comme un tableau, d’abord on n’en perçoit que le thème général, puis on remarque au fur et à mesure des détails de plus en plus infimes, proches ou lointains, de faible durée ou s’étirant longuement, aux fréquences et rythmes tous différents.

Notre civilisation est basée sur la vue depuis l’écriture et la représentation picturale, autant dire depuis que nous sommes devenus sédentaires. L’invention de l’imprimerie et la révolution industrielle à la fin du XVIIIème siècle accélérèrent le processus. Avant le moyen-âge, l’ouïe était primordiale. Elle continue à l’être chez les peuples premiers. C’est encore la ville qui nous coupe le plus surement de nos repères acoustiques. Ainsi, depuis un gros siècle, on voit tout et on n’écoute plus rien. Cela vaut pour nos autres sens : le toucher (combien de pathologies peuvent être soignées par le simple fait de caresser des chevaux, de retrouver l’élément primordial dans des thalassothérapies, les bienfaits du massage, etc), l’odorat (sinon comment pourrions-nous supporter cet air vicié des mégapoles?) ou le goût (qui a fait le succès des fast-food et de la nourriture industrielle).

Murray Schafer a publié le paysage sonore à la fin des années 70, compilant des études menées tout au long de cette décennie. Le livre s’organise en trois temps. D’abord l’histoire du paysage sonore, de loin le plus intéressant pour les non-initiés avec pléthore de citations d’auteurs célèbres (un peu trop peut-être…) qui nous renvoient à notre propre vécu en matière de sons. Ensuite la partie la plus obtuse, n’ayons pas peur de le dire, même si l’auteur se garde bien d’employer un vocabulaire trop technique, mais il faut bien avouer que l’on décroche souvent. Enfin des pistes, à défaut de solutions, pour un nouveau design sonore. Force est de constater qu’en 40 ans rien (ou si peu) a été fait en ce sens et on est, plus que jamais, bombardé de sons nuisibles à tel point qu’il est parfaitement impossible de passer une heure (que dis-je une heure! dix minutes au maximum) sans rencontrer un vrombissement de moteur quelque part, à moins de s’exiler au plus profond de la jungle amazonienne ou au milieu de l’Antarctique. Faites l’expérience lors d’une balade en pleine nature. Tondeuses, tronçonneuses, quads, débroussailleuses, souffleuses d’air (là, on rêve!) et lorsqu’on s’est suffisamment éloigné de la civilisation pétaradante, que l’on s’est hissé à tutoyer les plus beaux sommets, vroum!!! Les turbines de long courriers traçant leur rectiligne route dans le ciel azuré.

Schafer parle d’un environnement lo-fi (autrement dit basse fidélité où les sons ne peuvent se distinguer les uns des autres, la musique compressée façon mp3 est lo-fi par définition) par opposition au hi-fi (haute fidélité où les contrastes sont flagrants, les détails pouvant être remarqués aisément, il y a davantage de profondeur dans le champ sonore).

Les moteurs sont donc lo-fi ainsi que l’asphalte qui rend un son régulier et continu contrairement aux pavés ou aux rues en bois de l’ouest américain (à Vancouver, ville de l’auteur, certaines étaient même pavées de coquillages). En 150 ans, nous avons donc perdu en qualité sonore. Mais pas en quantité. Ainsi le comique des réglementations antibruit : on interdira plus aisément le son d’une cloche marquant l’heure ou d’un coq fort en testostérone que le flux de la circulation, pourtant bien supérieur en décibels.

Pour la première fois, l’homme moderne est moins en sécurité à l’intérieur de la ville qu’à l’extérieur. J’ajouterai pour ma part, pas du simple fait acoustique.

Le bruit le plus important jamais entendu par l’oreille humaine est celui de l’explosion du Krakatoa, fin Aout 1883, entendu à 4500 km de son centre d’émission. Cette plongée dans les sons uniques nous remémore quelques uns des plus subtils qui soient : le chuintement de la bougie, la crépitation des flammes dans l’âtre, toute la palette de sons provenant de l’élément liquide et les plus belles partitions que peut jouer le vent, jusqu’au plus infime : le délicat atterrissage du flocon de neige sur le sol.

Au fil des pages, on se plait à songer aux sons perdus de notre enfance, douce nostalgie d’un temps qui ne reviendra plus. A l’inverse on dresse la liste des bruits qui nous agacent. L’invention du téléphone fit beaucoup de mal à la sociabilité, abrégeant l’écriture et fragmentant le discours. Murray Schafer insiste sur l’existence de sons centripètes (la cloche de l’église qui rassemble les fidèles) et de sons centrifuges (la sirène des pompiers censée alerter du danger). On apprend aussi que, à l’image des illusions d’optiques, les sons peuvent nous mentir. Ainsi la provenance des basses fréquences, sons graves, sont difficiles à déterminer. Un ensemble de sons n’est pas le résultat de tous les sons qui le composent (la clameur d’une foule). Notre oreille enregistre tout, brut de décoffrage, puis notre cerveau fait le tri. Tout comme la succession d’images fixes projetées à une certaine vitesse donne l’illusion du mouvement (imaginez l’enfer de regarder un film en ne voyant que 24 images fixes délifer à chaque seconde!), il ne nous est pas possible d’entendre certains sons. Si nous pouvions entendre le son des molécules qui s’entrechoquent, nous deviendrions fous. Une expérience a été menée, isolant un cobaye de tout environnement sonore. Le sujet ne peut tenir plus de cinq minutes. Il entend alors nettement son cœur battre, résonnant comme un effroyable tonnerre continu et les impulsions électriques de ses nerfs.

Bruit et pouvoir ont toujours été de pair. Si les canons avaient été silencieux, ils n’auraient jamais servi à faire la guerre. Hitler reconnaissait lui-même qu’il n’aurait pu conquérir l’Allemagne sans le haut-parleur.

Penser que le monde d’avant la révolution industrielle qui a bouleversé le paysage sonore en profondeur était muet est une grossière erreur. La description que donne l’auteur de Cembra, un petit village perdu dans les montagnes du Tyrol est saisissante. L’homme accompagnait son travail en chantant le plus souvent, car celui-ci était réalisé à un rythme humain. Avec la généralisation du travail à la chaine, il ne fut plus possible de chanter en travaillant, d’ailleurs en aurait-on eu l’envie?

Mais, une fois de plus, tous ces sons étaient hi-fi. Les incidences des sons du monde moderne se font ressentir profondément, physiologiquement parlant. Je ne suis pas le dernier à écouter du rock, eh bien sachez que les capacités auditives d’un adolescent fan de Metallica sont comparables à celles d’un homme de 60 ans préférant le chant des oiseaux. 45 minutes de tondeuse à gazon peuvent endommager notre dispositif acoustique. Croire que l’ouïe diminue avec l’âge est faux. La tribu des Mabaans (Soudan) conserve le même niveau auditif même chez les anciens. Ils vivent dans un environnement sonore calme. Une fois de plus, on ressort de cette lecture en se disant que « c’était mieux avant ». Deviendrais-je, l’âge aidant, un vieux crouton?

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