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Citation de cyrius


J'ai pensé que je n'aimais plus Paris. Et ça, ça m'a quand même surpris. C'était à Paris que j'étais né, que j'avais eu mes premiers amis : Raphaël, Jean-Paul, Hervé Moulinard dont le père était « basse dans les tournées de province » (quel métier mystérieux), Philippe, Gégé, Bernard qui m'avait fait connaître Hercule Poirot et Arsène Lupin l'année de ma communion ; c'était à Paris que j'avais découvert l'amour sous la forme, ô combien chétive et désirable de Suzette Quiblier, une fille de teinturière qui n'accepta jamais que je l'embrasse sur la bouche ou dans le cou parce qu'elle voulait devenir bonne sœur et qui se fit faire un enfant à quinze ans par un étudiant en pharmacie. Quand ce scandale éclata, je ne l'aimais heureusement plus. J'étais fou d'une Jacqueline, maigrissime elle aussi, que j'abandonnai pour une Odette qui m'abandonna pour un Lucien ; c'était à Paris que j'avais appris à flâner, à rêvasser à tout et à rien, assis sur un banc du Luxembourg ou du Jardin des Plantes comme l'avaient fait avant moi des générations et des générations de jeunes gens promis à d'éclatants destins, à lécher des vitrines de librairies, à danser le jitterburg et le slow, à nager (pas très bien) le crawl, à parler de Prévert (qu'on trouvait génial), et de Mauriac (qu'on trouvait nul) et de Sartre (qu'on estimait énormément sans arriver à le lire) avec de futurs grands hommes de ma trempe dans des cafés de Saint-Germain-des-Prés ; c'était à Paris que j'avais été un bébé superbe, un garçonnet prometteur, un adolescent beau et fûté, un jeune homme comblé et un critique de cinéma écouté. Paris, c'était ma patrie, mon élément. Je ne parlais et ne voulais parler d'autre langue que le parisien. Tout homme — s'appelât-il Einstein, Léonard de Vinci ou Sigmund Freud — qui n'était pas natif de Paris et ne vivait pas à Paris, était pour moi un provincial fatalement débile. Toute mode, idée, philosophie qui n'était pas estampillée « made in Paris » n'avait aucune chance de me séduire. La Grèce et ses temples, Prague et ses cent clochers, le Pérou et ses cités incas, la Chine et sa muraille, Tahiti et ses vahinés, Barcelone et son barrio chino n'étaient que de lointaines et miteuses banlieues de Paris et je donnais très volontiers (sans les avoir vues et sans vouloir jamais les voir) toutes ces prétendues merveilles du monde pour la rue de Rivoli, le carrefour Réaumur-Sébastopol, le musée Grévin, la place de la République, la station de métro Nation et n'importe quel cinéma, bureau de tabac ou snack-bar parisiens.
Et, ce jour-là, le jour de maître Palissandre et de sa fichue histoire de paratonnerre, j'ai vu Paris autrement, je l'ai vue telle qu'elle était, cette ville trop grande, trop grise, trop peuplée, trop...
Trop tout ce que je n'aimais plus. (Folio, p.166)
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