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Citation de hupomnemata


AVÈNEMENT DE LA LIGNE.

Sur la surface intacte, la ligne pointe la première. Trait qui portera jusqu'au bout son apparition et ne s'interrompra que l'ayant circonscrite, à l'endroit précis où la fin s'annule dans le commencement, il sera d'emblée ligne continue, mise au jour progressive d'une liberté et en même temps jouissance de cette liberté et en même temps désir de confondre jouissance et liberté, de cerner leur commune substance et leur commune subversion. Ainsi la ligne de Miro a-t-elle chaque fois un désir, qu'elle suit tout en le découvrant. Et c'est elle, cette direction entrevue, qui fera le partage entre la liberté et le geste arbitraire, entre la jouissance et le signe sans faveur. Que le parcours ainsi créer soit enjoué à loisir, il a toutes les chances de rester éblouissement devant la découverte, et non pas redondante satiété. Ce qui doit se livrer attire et provoque la ligne de Miro. Ce qui l'attend au bout, l'appelle. L'approcher sans tarder - mais, selon l'appel, d'un trait rapide ou sinueux - telle est la condition du retrait de l'oeuvre. Jet ou inflexion, la ligne de Miro bannit le repentir, fait de la justesse sa règle et la spontanéité sa conduite.
Or, spontanéité est concurrente du temps. Sur l'espace où le premier trait s'offrira à l'espoir, à la même seconde et par son truchement s'inscrira une fraction de temps qui se prolongera en durée tout au long de la ligne, cette ligne continue de Miro, réversible en durée, toute axée sur la durée, ductile à souhait, installée dans le temps à la manière, peut-être, de la musique, ayant pour achèvement le laps qui s'écoule pendant qu'elle se réalise. Mais installée à la fois dans l'espace permanent de la peinture, vision fixe d'un mouvement, trajectoire d'une image lancée à sa propre et omniprésente poursuite.
Gardons-nous de songer à une graphie automatique. La totale passivité que celle-ci requiert, la main-aveugle outil, n'existe pas chez Miro. Pas plus que cette soumission au fortuit, seule arme de la graphie bringuebalante contre sa monotonie congénitale. Tout autre est la clairvoyance passive de la ligne de Miro. Tout autre est son lieu.
C'est à l'orée de la conscience qu'elle affleure, là où conscience et inconscient ne s'oppose pas encore, dans le ferme milieu qui les unit. Ainsi reste-t-elle gardienne de leurs propriétés contraires, ligne qui fait de sa volonté délaissement, de son tâtonnement lucidité et va jusqu'à faire de sa recherche , hasard. Combinaison provoquée, dont Miro non seulement aime la fécondité, mais l'exploite - insolite attitude qu'il est l'un des rares à tenir. Arrêtons-nous au passage sur l'une des multiples pierres d'attente qui ne sont pas des jalons célestes mais de menus droits à la faveur desquels nous apprendrons qu'une tête folle peut avoir des mains sages ou inversement, dialectique qui réussirait si bien au scarabée d'or d'Edgar Poe.
La main, déliée, suit l'outil. Mais elle guette cette présence concrète, chaque fois différente, plume, burin, pinceau, pour en épuiser les exigences, pour les fondre au geste qui a déclenché la ligne, qui la mène à ses fruits : accomplissement devenu aussitôt double, car dans sa démarche la ligne est désormais expression de l'outil autant que la conséquence du geste. Outil, geste, disparus l'un dans l'autre, enrichis l'un par l'autre.
En plus de cette double action que , de surcroît, le temps de l'exécution commande, au cours de l'irruption n'impose pas son bref sablier, afin que la spontanéité ne soit pas laissé à elle-même, Miro engage au plus près l'espace matériel sur lequel il travaille: le papier, le cuivre, le grain de la toile, la toile de sac rêche rôdent autour de l'outil comme pour l'assaillir, légitimant les esquives, puis l'insigne intérêt de ce dernier pour eux. L'élan de la ligne passera en s'élevant et provoquera des poursuites et d'étranges mêlées, en fugues d'anneaux palpitants. Ce risque proche - ce hasard provoqué - devient l'excitation suprême, la fortune imprévue, le secret enfin trahi au sommet, pour châtier sa propre vénération. Ce qui est salubre.
Telle est l'escrime de Miro. Geste replié puis lâché sur l'exigence de l'outil devenus ensemble cette durée qui rencontre la surface adverse et qui délaisse sa continuité brisée, pour que la tension ne soit plus qu'un filin de tension, qu'elle aille au bout de sa convoitise comme si elle avançait au niveau de l'inconscient. Sans Ariane. Sans autre prétention ou noblesse que de montrer l'inaccessible. Mais un "inaccessible" qui, à la différence de celui que délivre la franchise automatique, s'identifie dans la peinture de Miro à l'incriminable cerné de toutes parts.
Après vient la couleur et ses meutes de loups.
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