Revue Imaginaire et inconscient

La dépendance du regard est symptomatique de la situation dans laquelle se trouve le sujet humain depuis ses origines : il n'existe que par l'autre, en raison de ce qui s'est tramé à son insu dans le contexte de ses relations premières, et le regard incarne en quelque sorte le caractère énigmatique des messages qu'il a reçus. C'est en se référant à lui qu'il peut espérer tirer profit de son propre fond et le traduire au fur et mesure que l'existence lui en offre la possibilité. Il doit toutefois affronter un obstacle majeur : ceux qui ont incarné ce regard dans les premiers temps de l'existence et qui n'en sont que des supports provisoires, passagers, occupent parfois une telle place qu'ils viennent en obturer l'accès, au point que le sujet n'a d'autre solution que de se soumettre à ce qu'ils représentent et de nouer une véritable relation d'addiction. C'est pourquoi, il faut constamment opérer un renversement complet de perspective et privilégier l'autre regard, invisible, issu de ces relations premières mais dégagé de leur contingence, et en accepter le défi. On peut alors parler d'une dépendance du regard, et celle-ci est en réalité une ouverture au plus énigmatique en soit.

Dans cette société où la loi oedipienne du manque est considérée comme insupportable, prévaut "la problématique narcissique, avec la dépendance qu'elle implique à l'objet externe. L'angoisse, plutôt que de se négocier à travers le travail de la psyché, ne parvient ) se réduire que pour autant que l'objet extérieur vient soutenir concrètement le sujet." La dépendance devient alors symptôme d'une civilisation : dépendance à l'autre, dépendance aux produits, dépendance à l'excitation du présent, elle-même trouvée dans la fuite de l'effrayante dépendance au passé synonyme d'enfermement. "Ah ! Monsieur", s'écrie un jour Protos, un personnage des Caves du Vatican, "tout ce qu'on ferait sans cette vie, si seulement on pouvait être bien certain sure cela ne tire pas à conséquence !"

Il importe évidemment pour tous, enfants ou adultes, que le psy ne fasse plus peur. Apprivoisé, démythifié, découvert, j'entends dévêtu de sa carapace et hors de son fauteuil, mythique lui-même, il peut se révéler, même à des enfants, comme un spécialiste sympathique de l'aide aux autres avec un métier qui est plus un état intéressant, passionnant et même enviable. Chacun d'eux a bien compris ce qu'étai un ps et à quoi il pouvait servir. Plusieurs fois des grandes m'ont dit qu'elles aimeraient bien un jour faire mon métier.

A cette liberté de la démarche s'associe celle de pouvoir tout me dire sans risque, avec la certitude que je n'en parlerai jamais. A cette garantie, l'enfant mesure la considération qu'on lui porte et la confiance qu'on lui fait. I ne peut s'estimer s'il ne se sent d'abord reconnu comme une personne, reconnu dans son droit au secret comme dans sa difficile quête d'identité, par celui qui l'écoute et lui parle.

Beaucoup de femmes de la société moderne, au nom même du féminisme parfois, se sont laissé déposséder de leur qualité essentielle, je veux dire ontologique, qui tient à ce goût inaltérable de l’éternité et leur donne vocation de déesses. Cette essentielle qualité, Goethe la nomme « l’éternel féminin » et avant lui, au XIIe siècle, Ibn Arabî la désigne, à propos de la reine de Saba, comme « l’infini féminin ».

Il en va tout autrement du fragment de cure de Cristèle. Cette jeune femme elle aussi, a fait une demande d'analyse par le rêve-éveillé. Bien vite j'ai compris qu'il n'était pas question d'analyser quoi que ce soit, mais qu'elle souhaitait "rêver tout éveillée et y prendre son pied". Elle disait à quel point la vie était difficile pour elle. Elle voulait s'en sortir. Rien ne lui faisait plaisir, et se s seuls souvenirs agréables dataient de son enfance, quand elle jouait à se raconter des histoires pour fuir les peines et les soucis. "Les ennuis, je connais. Je ne veux pas u revenir. Ce que je veux c'est trouver du plaisir." Je l'ai donc suivie où elle m'emmenait, du "Palais de la bonne bouffe" aux chambres enivrantes. [...]
Une année entière s'est déroulée sur ce mode ) à la fin de laquelle elle m'annonça qu'elle avait maintenant un ami, que leurs amours étaient tout à fait agréables, "encore mieux qu'un rêve-éveillé"', que je lui avais rouvert l'accès au plaisir et que tout le reste lui était bien indifférent.

et si nous parlions de vivre en santé ?
être en santé, non pas avoir la santé,... ce n'est ni simple, ni innocent :
c'est un "modus vivendi", une pulsion vitale, un acte posé, une
vigilance, une liberté face à la norme...
c'est une réalité globale, relationnelle, dynamique, une attention
particulière à l'autre et à soi, une plénitude, une congruence,
paradoxalement, c'est, encore et surtout, l'aptitude à affronter le
changement, les épreuves, la souffrance, la maladie, la mort ... l'on peut
mourir "vivant", ... comme constituants de la forme de notre existence...
ceci nous conduit à une ébauche de compréhension du sens de la maladie :
interprétée comme symptôme de relation perturbée avec soi, l'entourage,
l'ordre établi... ou un mal, et les notions archaïques s'y référant : ... punition,
culpabilité, souffrance et rédemption... et puis il existe aussi les conduites
d'aliénation, de marginalité, liées ou non à une addiction...

... la référence au regard de l'autre ne conduit pas nécessairement à la soumission à la méconnaissance. A condition qu'il ne s'agisse plus à proprement parler du regard de l'autre, mais de "l'autre regardé", privé de tout support, qui évoque directement le caractère énigmatique des relations d'origine. A condition aussi qu'il ne s'agisse pas d'une dépendance à, qui évoque l'addiction, l'accoutumance, mais d'une dépendance de l'autre regard en question.Car celui-là, quand il s'y fie, il devient source d'inspiration, de créativité. Il renvoie à l'autre comme éveilleur, comme origine des pulsions inconscientes, et il leur sert aujourd'hui encore de stimulant, de répondant et d'ouverture sans limites. C'est pourquoi les artistes et les créateurs sont certainement les mieux placés pour rendre compte de son existence.

[les anorexiques]
La réalité est beaucoup plus complexe et paradoxale Leur indépendance est, en fait, bien artificielle. Leur sociabilité est superficielle, leurs relations aux autres sont sans profondeur. Leurs liens affectifs restent essentiellement narcissiques et centrés sur leur famille, le plus souvent leur mère.
Leur indépendance apparaîtra de plus en plus mythique lorsque leurs performances physiques seront grevées par la faiblesse corporelle due à leur dénutrition. L'intellectualisation forcenée s'épuisera également dans des rationalisations stériles. Les outils de l'indépendance sont devenus des instruments de torture. La dépendance triomphalement déniée, revivent sur le mode négatif de la soumission et de la contrainte. ce qui aura pour effet une surenchère du désir d'indépendance.

L[a relation des patients psychotiques] avec l'institution psychiatrique traditionnelle se traduit, d'après Bellak K.S. et Mesis K.T. par un nouveau syndrome, celui du "client de post-cure", caractérisé par une recherche consciente ou non de réhospitalisations de type "porte tournante".