Désormais grands, riches, confiants, instruits, supérieurs, ils étaient le produit final que l’on obtient à l’aide d’une immense richesse et possédaient cette arrogance subtile et tenace caractéristique, aussi puissante que les parfums signatures de Madame*. Je présentai quelques personnes à Charlene qui, en tant que troisième épouse et adepte de l’ascenseur social, souhaitait faire la connaissance de Nan ou de Pat, les seules doyennes de cet univers qui avaient de l’importance désormais. Puis, pour clore cet impressionnant catalogue d’invités, cette armada de joyaux, les autres acteurs pionniers de la cosmétique étaient venus faire leurs adieux : Mickey Heron de Heron Cosmetics et celle qui, selon la rumeur, était sa maîtresse de longue date, CeeCee Lopez, fondatrice du Queen CeeCee’s Hair Relaxer, l’entrepreneure afro-américaine la plus riche du monde.
Mon nom de naissance est Joe Bob Devereaux et je suis un homme du Sud, un moins-que-rien issu d’un trou perdu marécageux de Louisiane. Mais à l’aide du charme que j’ai à revendre, de ma juvénile beauté masculine, d’atouts cachés et de quelques « faveurs » obtenues au fil du temps, je me suis hissé du bayou jusqu’à New York. J’avais répondu à une annonce passée par une agence spécialisée dans les emplois domestiques et fus embauché dans la maison* de Josephine. On me précisa qu’elle n’employait que « des jeunes gens bien de leur personne, sans famille et sans vie ». J’avais le profil idéal.
Je ne pouvais me résoudre à envisager la vie sans elle, ses coups de gueule, ses exigences, ses interminables listes de priorités, comprenant détails importants et secondaires et, de temps à autre, ses attentions appréciables, qu’elle distribuait alors que j’aurais juré ne plus pouvoir la supporter une seconde de plus. Ses caresses étaient presque toujours brusques, mais ses gentillesses venaient tout droit du cœur et débordaient de générosité.
Madame avait toujours détesté le gris. « Ce n’est ni blanc ni noir, et je hais l’indécision au plus haut point », disait-elle toujours. Elle prononçait le mot « indécision » avec sa verve habituelle, l’appuyant d’un haussement de ses sourcils parfaitement dessinés. Aussi aurait-elle très certainement manifesté son mécontentement.
À mes yeux, cette petite femme d’un mètre cinquante seulement était une géante, sa chevelure noire plaquée en chignon faisant ressortir ses yeux tempête et son nez aquilin exprimant sa détermination.