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Nationalité : Algérie
Biographie :

Biographie des éditions Ribât :
Historien et universitaire spécialisé dans l’histoire de la civilisation islamique autant que dans les questions environnementales, notamment en Afrique du Nord, Salah-Eddin Zaimeche Al-Djazairi a été chercheur au département de géographie de l’Université de Manchester (Royaume-Uni), enseignant à l’université de Constantine (Algérie) et a également collaboré avec l’Institut des Sciences et de la Technologie de l’Université de Manchester en tant qu’assistant de recherche dans le domaine de l’histoire de la science.

Contributeur d’articles dans de célèbres encyclopédies, il a publié des travaux dans de prestigieuses revues universitaires telles que, notamment, Middle Eastern Studies, The Journal of North African Studies et The Geographical Journal, sur des sujets tels que la dégradation de l’environnement, la désertification, les évolutions politiques de l’Afrique du Nord ou les problématiques liées au développement économique et social.

Auteur d’une dizaine d’ouvrages historiques, il a notamment écrit sur l’histoire de la colonisation (‘Libya War of Independance (1911-1932)’, ‘French Invasion – Algerian Resistance (1830-1871)’), l’histoire militaire du monde musulman (‘Great Muslim Army Commanders’, ‘The Great Turks’, ‘Muslim Decisive Victories’, ‘The Crusades’), les mythes de la propagande islamophobe (‘Barbary Pirates : Myths, Lies, Propaganda’, ‘The Myth of Muslim Barbarism and Its Aims’, ‘The Hidden Debt to Islamic Civilisation’), l’histoire de l’islâm en Chine (‘Islam in China’, en 3 volumes) ou encore l’histoire de la civilisation islamique dans son ensemble (‘The Golden Age and Decline of Islamic Civilisation’, ‘The History of Islam’).
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Source : Ribât édition
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Bibliographie de Salah Eddin Zaimeche Al-Djazairi   (6)Voir plus

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La vision caricaturale de corsaires barbaresques massacrant un nombre incalculable de chrétiens était un puissant appel à l’action contre ce « nid de pirates » que constituait l’Algérie. Selon certains, l’Algérie n’aurait été conquise par la France que pour éliminer « la piraterie musulmane qui infestait la Méditerranée ». (…) Jusqu’à ce jour, la piraterie musulmane et barbaresque est restée, selon la grande majorité des universitaires, le motif principal qui aurait motivé l’occupation française de l’Algérie. (…) Il semblerait, selon toute cette littérature, que l’arrivée des Ottomans dans la région ait déclenché ce vil fléau de la piraterie. (…) Ce mythe de la piraterie est pourtant l’une des aberrations les plus farfelues que l’on puisse rencontrer ; il est donc nécessaire de le corriger afin d’aider chacun de nous à y voir plus clair.

Les Ottomans étaient devenus, à partir du début du 16ème siècle, les protecteurs et les suzerains de la majeure partie d’un monde musulman en déclin ; cette situation était le résultat des menaces auxquelles était confronté l’Islam, tant en Occident qu’en Orient. En Occident, qui nous intéresse, à la fin du 15ème et au début du 16ème siècle, après leur conquête de Grenade en 1492, les Espagnols avaient lancé une série d’assauts militaires contre le Maghreb. Après avoir pris Melilla en 1497, ils avaient capturé Mers el-Kébir en 1505, considérée alors comme la première étape de la conquête de la Grèce, de la Turquie, d’Alexandrie et même de la Terre Sainte. À ce stade, les Portugais avaient déjà conquis une grande partie du littoral marocain. Ceci, bien sûr, reflétait la volonté ultime des chrétiens de conquérir le monde entier, comme la chose était alors ouvertement assumée. Un ensemble de documents au sujet de ces politiques, et du cadre idéologique qui devait accompagner la destruction du monde musulman et la christianisation de l’Afrique du Nord, tels qu’ils ont été conçus au 15ème siècle, en particulier, existent et peuvent être aisément consultés. Ils montrent comment les chrétiens ont alors envisagé la conquête de l’Afrique du Nord – la conquête de Grenade et le parachèvement de la « Reconquista » dans la péninsule ibérique n’étant qu’une étape vers ce grand plan. Après les succès précédents, en 1509, Pedro Navarro dirigeait ainsi une expédition contre Oran, décrite comme « le principal port de commerce du Levant ». L’année suivante, Bejaïa et Ténès tombaient aux mains des Espagnols, tandis qu’Alger était menacée, maintenue à portée de canon depuis leur place fortifiée du Penon, à une courte distance des côtes.

À la suite de ces conquêtes espagnoles, des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants musulmans étaient tués, maintenus en captivité dans les presidios – places fortes – ou transportés vers les marchés aux esclaves du continent européen et de là, vers les possessions impériales transatlantiques, de la Floride au Brésil. La violence des attaques espagnoles et la terreur infligée aux populations conquises menaçaient l’ensemble des zones côtières. Ce vaste assaut, comme le souligne Bishko, représentait la poursuite des motifs et des objectifs de la Reconquista médiévale, à travers l’idée de constituer une « nouvelle Grenade au Maghreb ». La conquête de toute l’Afrique du Nord et la disparition de sa population musulmane n’étaient plus qu’une question de temps. Mais c’était sans compter sur l’entrée en scène inattendue des fameux frères Barberousse. Les cheikhs d’Algérie avaient en effet appelé à la rescousse cette fratrie, dont les plus célèbres seraient Arruj et surtout Kheir-Eddin ; et avec leur alliance, le processus de lutte contre l’offensive espagnole était enclenché. C’est ce conflit, qui a impliqué Ottomans et musulmans nord-africains d’un côté, et les armées de la chrétienté de l’autre, qui a été transformé par l’historiographie occidentale en « piraterie barbaresque ».

Il n’y a en réalité jamais eu de piraterie barbaresque telle qu’elle est ainsi décrite par les historiens occidentaux (…). Tout d’abord, les villes d’Afrique du Nord, loin d’être des repaires de pirates, étaient des lieux de commerce où s’effectuaient de nombreux échanges – y compris entre les puissances européennes et les musulmans. À l’opposé d’un repaire de pirates sanguinaires, Alger, par exemple, était un port d’escale reconnu pour les navires européens, y compris anglais, au 16ème siècle. Non moins remarquable, souligne Fisher, était la concurrence pour des concessions commerciales permanentes dans ce soi-disant repaire de la piraterie. De plus, en se référant à un certain nombre de sources contemporaines, il affirme : « Une autre fausse idée répandue, selon laquelle la période de domination turque sur la côte des Barbaresques était une période de stagnation stérile, peut être réfutée dans une certaine mesure par les témoignages contemporains du développement constant, et à une allure étonnamment rapide, de la ville d’Alger pendant près de trois siècles. Cette ville est passée d’un obscur tributaire de l’Espagne à la capitale d’un État stratégiquement important et même, pendant un bref instant, au centre du commerce en Méditerranée, à partir duquel les armées républicaines françaises étaient en partie nourries et financées…» (…) En réalité, toute la côte nord-africaine était considérée comme un grand marché et un lieu d’échange profitable aux deux parties.

Du 16ème siècle jusqu’à l’ère coloniale du 19ème siècle, sous le règne des « pirates de la côte des Barbaresques », ce n’est guère la piraterie musulmane qui s’est attaquée à la navigation occidentale mais bien l’Afrique du Nord musulmane qui subissait les assauts de la piraterie chrétienne. Comme le souligne Matar, l’un des thèmes récurrents dans les premières biographies musulmanes modernes d’Afrique du Nord, les décisions jurisprudentielles, les lettres royales et autres, est la description du danger des invasions chrétiennes et l’impact destructeur de la réduction en esclavage des populations sur la stabilité de la région, tant politique que sociale. Tous les littoraux étaient en effet des zones de grande insécurité pour cette raison. À la fin du 16ème siècle, les esclaves musulmans étaient si nombreux dans les villes portuaires chrétiennes, de Gênes à Cadix, qu’ils devinrent un thème commun dans la peinture et la sculpture européennes. (…)

Les attaques en haute mer contre les navires nord-africains étaient particulièrement vicieuses, et les assaillants chrétiens ne faisaient guère de différence entre les membres d’équipages et les passagers non armés. Les pèlerins et les navires marchands étaient les proies favorites des corsaires chrétiens, dont les plus craints étaient les Chevaliers de Malte et ceux qui battaient pavillon du royaume des Deux-Siciles. Ils harcelaient les navires nord-africains et maintinrent ainsi un état d’insécurité jusqu’au 18ème siècle. L’ordre religieux des Chevaliers de Saint-Jean avait été délogé de Rhodes par les Ottomans en 1522, mais avait ensuite trouvé refuge à Malte. De là, ils attaquaient et terrorisaient les navires musulmans, s’emparant de centaines de navires marchands musulmans du 16ème au 18ème siècle – 204 navires rien qu’en 1764 ! Toutes les nations occidentales voyaient les navires musulmans comme des proies légitimes. À l’été 1600, les pirates britanniques terrorisèrent ainsi la Méditerranée par leur violence et attaquèrent partout les navires turcs et algériens, considérés comme des cibles adéquates alors même que l’Angleterre était pourtant en paix avec ces deux États. Les pirates français leur disputaient la mer et partageaient la même soif de cruauté, sans faire la moindre différence entre les nationalités : pour eux, tous les musulmans faisaient de bons captifs, quelles que soient leur origine nationale et la situation diplomatique entre la nation du prisonnier et la France. Au début des temps modernes, les pirates français, ainsi que les Maltais et les Italiens, naviguaient sous pavillon tantôt majorquin, tantôt portugais, tout comme les Majorquins pouvaient naviguer sous pavillon français, et les Britanniques sous pavillon espagnol pour attaquer les navires musulmans ; et s’ils étaient en guerre contre Alger, chaque musulman devenait un Algérien pour justifier son asservissement. Les côtes et les villes d’Afrique du Nord furent ainsi ruinées par les attaques chrétiennes, tandis que la navigation musulmane en Méditerranée était littéralement décimée.

Si la piraterie barbaresque existait bien, c’était donc essentiellement en réponse à la piraterie chrétienne dont les musulmans furent victimes pendant des siècles ; et elle n’a de plus jamais été aussi destructrice et cruelle que cette dernière. La piraterie barbaresque, comme le démontre notamment Fisher, est donc restée l’un des plus grands mythes de l’histoire moderne pour justifier la colonisation de l’Algérie et de l’Afrique du Nord. (…) De manière plus intéressante encore, l’invocation par les Français de la piraterie pour justifier l’invasion de l’Algérie en 1830 ne repose pas sur le moindre fondement solide, comme l’explique Godechot : « Alors que le danger barbaresque avait disparu des côtes européennes depuis plus de cent ans, le danger chrétien a persisté sur les côtes africaines jusqu’à la fin du 18ème siècle. » L’Algérie n’avait plus de flotte au 19ème siècle qui puisse justifier l’argument de la piraterie – cette flotte ayant presque entièrement disparu dès le 18ème siècle. Lorsque William Shaler, le nouvel ambassadeur américain, arriva à Alger en 1815, il ne vit ainsi de la marine algérienne que quatre frégates, cinq corvettes, un brick et une galère, soit seulement onze navires au total. Et ces derniers furent définitivement anéantis lors du célèbre bombardement d’Alger par Lord Exmouth, en 1816 ! Il n’y avait donc aucune flotte, et presque aucun prisonnier chrétien non plus…
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Aucune annihilation d’une quelconque entité ne sort de nulle part ; un acte de cette ampleur et toutes les horreurs qu’il implique et engendre ne peuvent être simplement perpétrés par des fonctionnaires ou militaires isolés car, même dans le feu de l’action, les tueries de masse finissent par s’éteindre d’elles-mêmes. Il est encore plus difficile d’éliminer une entité entière en temps de paix, car aucun degré de cruauté, d’inhumanité ou d’avidité ne pourrait rendre cela possible de lui-même. Pour mener à bien de tels actes, comme nous l’avons expliqué dans le premier chapitre de cet ouvrage, il faut en effet fournir et propager des justifications intellectuelles, juridiques et surtout morales – à savoir qu’une telle entité est considérée comme préjudiciable à l’humanité et que ce n’est que par son élimination que l’humanité peut prospérer ; et plus loin, que son élimination n’est pas seulement une nécessité mais surtout un droit, et même une obligation. Aucun auteur de génocide à travers l’Histoire n’a manqué de présenter un tel argument : même les abominables Conquistadors qui ont perpétré de terribles tueries de masse en Amérique centrale et du Sud avaient leurs raisons et justifications morales – outre l’attrait de l’or, évidemment – et n’hésitaient pas à citer le cannibalisme des Indiens, leurs coutumes et manières bestiales, et bien d’autres éléments. (…) Par le passé comme de nos jours, l’élimination d’une entité est d’abord justifiée par ceux dont la respectabilité, morale et intellectuelle, peut faire de tout acte, même apparemment odieux, un acte bon, nécessaire et droit. (…)

Tout comme le pamphlet de Gladstone, un chrétien fanatique et zélé, en 1876, avait ouvert la voie au massacre de centaines de milliers de musulmans ottomans et à l’exil d’autres plus nombreux encore, et tout comme la littérature qui avait poussé les Grecs, Serbes, Bulgares et Monténégrins à commettre de terribles atrocités durant les guerres Balkaniques, les œuvres du ministère britannique de la Propagande contenaient la même substance. Le vicomte Bryce, un turcophobe enragé et compulsif qui ne s’en est quant à lui jamais repenti, écrivait ainsi dans la préface du premier ouvrage de Toynbee, « la Meurtrière Tyrannie des Turcs » : « Quiconque a étudié l’histoire du Proche-Orient au cours des cinq derniers siècles ne sera pas surpris que les puissances alliées aient déclaré leur intention de mettre fin à la domination du Turc en Europe, et il sera encore moins en désaccord avec leur détermination à délivrer la population chrétienne de ce que l’on appelle l’empire turc, que ce soit en Asie ou en Europe, d’un gouvernement qui n’a guère fait que l’opprimer au cours de ces cinq siècles. Ces changements sont en effet attendus depuis bien longtemps ; ils auraient déjà dû intervenir il y a plus d’un siècle, car il était alors déjà devenu évident que le Turc était désespérément incapable de gouverner, avec une quelconque approche de la justice, des races soumises d’une religion différente. Le Turc n’a jamais été d’une quelconque utilité, si ce n’est pour se battre. Il n’est pas capable d’administrer, bien qu’à ses débuts il ait eu le bon sens d’employer des administrateurs chrétiens intelligents. Il n’est pas capable d’assurer la justice. En tant que pouvoir et gouvernement, il s’est toujours montré incapable, corrompu et cruel. Il a toujours détruit et n’a jamais créé. Comme l’a écrit un célèbre historien anglais, les Turcs ne sont rien d’autre qu’une bande de brigands qui campent dans les pays qu’ils ont ravagés. Comme l’a écrit Edmund Burke, les Turcs sont des sauvages avec lesquels aucune nation chrétienne civilisée ne devrait former d’alliance. Il faut mettre fin à la domination turque en Europe car, même dans la petite partie que le sultan en détient encore, il s’agit d’une puissance étrangère qui opprime, massacre, tue et chasse de leurs foyers les habitants chrétiens d’origine grecque ou bulgare. »

(…) Outre les Britanniques, toutes les autres chancelleries alliées, à la notable exception des Italiens, agissaient de la même exacte manière, et de façon simultanée. L’ambassadeur russe Mandelstam, en 1917, utilisait les mêmes termes que Toynbee, quoi qu’avec une portée bien plus large, réitérant ainsi une fois encore la substance de la note commune des Alliés. Il déployait beaucoup d’efforts pour expliquer que les Turcs, « tout comme les autres races inférieures, ont la possibilité de se civiliser un jour ; mais d’ici là, il faut les expulser complètement et les placer dans quelque recoin de l’Asie mineure, où ils pourront passer un certain temps, et comme les Noirs, auront alors l’opportunité, après quelques générations, de se civiliser puis de retrouver leur chemin parmi les êtres humains. » Il ajoute ensuite, en français dans le texte : « Mais il ne saurait s’agir pour l’Entente victorieuse de rétablir sur l’empire ottoman une tutelle aussi inefficace que celle qui a permis à l’État tuteur ottoman de massacrer ses pupilles arméniens en se jouant de ses propres tuteurs européens. Cette extraordinaire combinaison internationale de tutelles superposées a fait définitivement faillite. C’est dans le cas turc que l’intervention d’humanité doit être poussée à ses limites extrêmes et recevoir sa plus forte consécration. Cette consécration ne saurait être autre que la destruction de l’empire ottoman. Tout notre ouvrage tend à cette conclusion. »

(…) Quoi qu’il en soit, à la même époque, en 1916-7, le Français Driault, dans son ouvrage sur la question d’Orient, suivait les positions coutumières de Mandelstam et des autres ; après un long détour historique, il résumait ses pensées dans sa conclusion en déclarant notamment que, comme d’autres souverains ottomans, Abdülhamid n’avait fait que tromper l’Europe : « Alors qu’il prétendait mener des réformes, il renforçait la Turquie sur le plan militaire. Ce n’est pas ce que l’Europe, la France en particulier, entendait par ‘réformes’. D’autres nations comme la Hongrie se sont réformées et ont rejoint le club des pays civilisés, mais elles sont chrétiennes. Les Turcs, en revanche, sont restés musulmans et ont donc refusé de s’amalgamer à la culture européenne, le Coran ne leur inspirant que mépris des autres et haine. Chaque contact plus étroit avec les chrétiens n’a fait qu’éveiller en eux le fanatisme et accentuer leur caractère asiatique, de sorte qu’ils apparaissent comme plus étranges et barbares encore, et ne peuvent guère comprendre les idées révolutionnaires de l’Europe. Le Turc est resté le même musulman opiniâtre et intrépide du passé ; sa haine du chrétien est demeurée extrême et s’est exprimée par sa soif de sang ; et à la vue des progrès de son ennemi, il ne répond que par d’abominables massacres. Le Turc a trompé l’Europe quant à ses véritables objectifs… L’Europe, lasse d’être dupée, mais craignant aussi un démembrement qui pourrait l’entraîner dans le chaos, a décidé de réformer l’empire par la force, et même sous la menace du canon et d’un puissant usage de la cautérisation, mais les puissances ne se sont jamais entendues sur la nature de cette dernière… » Puis, après avoir abordé et énuméré les succès chrétiens dans le monde musulman, Driault conclut : « Nous ne nous sommes pas abstenus, dans ce livre, de définir la question d’Orient par le recul de l’Islam turc face à la poussée des nations chrétiennes : il n’y a pas d’autre voie pour comprendre l’ampleur et la grandeur historique de ceci. La solution est la fin de la Turquie. La guerre ne changera rien ; la seule chose qu’elle fera sera de désigner et nommer ce qui est désormais important : qui seront les héritiers de l’homme malade. »

La vaste machine propagandiste qui diabolisait le Turc et justifiait son élimination fonctionnait sur le même modèle que la propagande nazie le ferait deux décennies plus tard. Il ne s’agissait pas seulement d’un effort intellectuel, mais d’une campagne globale qui englobait tous les autres moyens de communication afin d’influer sur l’opinion. Tout comme l’Allemagne nazie devait utiliser les dessins pour caricaturer les Juifs et amplifier les stéréotypes habituels à leur sujet, leur déniant leur humanité pour les abaisser au rang de sous-hommes, les Alliés en firent de même avec les Turcs. Punch, le principal journal satirique britannique qui avait, depuis les années 1870, joué un rôle de premier plan dans la diffusion de l’image du Turc sanguinaire et bestial, véritable « barbare asiatique », publiait ainsi au début de la Première Guerre Mondiale, en 1914, un numéro commémoratif, « l’Inénarrable Turc », dans lequel étaient revivifiées toutes les habituelles images stéréotypées du Turc (...)
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La résistance était partout décimée, mais ces pertes ne dissuadaient toujours pas les Libyens survivants de se battre. (...) Début septembre 1931, ‘Umar Al-Mukhtar se trouvait encore dans la région de ‘Ayn Lafa, avec une centaine d'hommes. Le 11 septembre, enfin, il tomba dans une embuscade, son cheval fut abattu sous lui et, blessé au bras, il fut capturé. Le général Graziani, qui était en vacances en Europe, apprit la nouvelle et retourna aussitôt en Cyrénaïque pour l’interroger. ‘Umar fut emmené au camp de Suluq, souffrant encore de sa blessure. Après la tenue d'une cour martiale expéditive, le vieux guerrier fut pendu le 16 septembre devant une foule silencieuse de 20.000 personnes amenées de la prison pour assister à sa mise à mort. Les Italiens étaient en liesse. Le général Graziani déclara à son sujet : “‘Umar al-Mukhtar était un chef musulman qui croyait en sa cause. Il eut un grand impact sur ses partisans. Ils se sont battus avec sincérité et loyauté ; et je le dis en raison de ma longue expérience de la guerre. ‘Umar al-Mukhtar était différent des autres par sa stricte religiosité. Il était très attaché à sa religion et se montrait miséricordieux lorsqu’il était victorieux. Sa seule faute est en fait de nous avoir haïs, nous et notre politique. Il n'a jamais fait preuve de faiblesse et n'a jamais eu la volonté de déposer les armes. Il était ferme sur ses principes, et c'est pourquoi nous le respections beaucoup, malgré son opposition à notre encontre. (...) Il a prononcé quelques paroles historiques : ‘Mon arrestation est une confirmation du décret d'Allâh, qui est déjà en Sa Connaissance. Maintenant, je suis entre les mains du régime fasciste italien et je suis son prisonnier, mais Allâh fait de moi ce qu'Il veut. Je voudrais vous dire avec certitude que je n'ai jamais pensé à me rendre, quelles que soient les difficultés, mais telle est la volonté d'Allâh et rien ne peut l'arrêter.’
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Les pieux, les fanatiques, les nécessiteux, les débauchés, les jeunes et le vieux, et même les femmes et les enfants, les handicapés et les boiteux, par centaines. Dans chaque village, le clergé s'affairait à entretenir l'excitation de tous, promettant des récompenses éternelles à ceux qui endossaient( la croix rouge, fulminant des dénonciations les plus terribles contre tous ces gens aux préoccupations mondaines qui refusaient ou même, simplement, hésitaient. Tout débiteur qui se joignait à la Croisade était libéré de ses créanciers par l'édit papal ; les hors-la-loi de tous grades étaient mis sur un pied d'égalité avec les honnêtes gens et bénéficiaient des mêmes conditions.
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« ‘Les Turcs massacrent !’, en grosses lettres capitales ; ces mots remplissent les pages des médias aux côtés des récits de leurs défaites sanglantes. Naturellement, quelques atrocités bulgares sont citées, mais elles ne sont imprimées qu’en très petits caractères à la fin des paragraphes. Les Turcs massacrent ; cela va de soi » 501 , écrivait à l’époque Pierre Loti, dégoûté par l’ampleur de cette tragi-comédie où les victimes des atrocités devenaient les auteurs de crimes de masse par les manipulations de toutes sortes de faiseurs d’opinion. Loti consacre la majeure partie de son livre aux détails des atrocités commises sur les Turcs et les musulmans en s’appuyant sur des témoins ordinaires, des officiers d’armées étrangères présents sur les théâtres d’opérations, des fonctionnaires occidentaux en service à divers titres, notamment en tant que diplomates, dans le secteur de la santé ou d’autres institutions, des correspondants étrangers, des religieuses, des ingénieurs, des voyageurs et bien d’autres encore. Ces témoins étaient français, allemands, autrichiens, britanniques, suisses, juifs de toutes les nationalités ; tous, sans une seule exception, n’évoquaient que les horribles atrocités commises à l’encontre des Turcs, étayaient leurs récits de photographies et de détails précis sur le jour, l’heure et la localisation de ces crimes, ainsi que les responsables directs, des officiers bulgares, grecs et serbes désignés nommément. Les détails des massacres étaient fournis avec une méticuleuse précision et envoyés aux différentes agences de presse. Et pourtant, comme l’a fait remarquer Loti, c’est exactement l’inverse qui était imprimé en gros titres dans les journaux. 502 Et lorsque Loti réussit enfin à faire reconnaître à certains grands journaux la réalité des choses, voici ce qui arriva : « Comment peut-on accepter que même les journaux qui reconnaissent enfin les massacres de Turcs justifient maintenant ces événements sur le terrain comme une réaction à cinq siècles d’effroyable domination turque en Thrace et en Macédoine ? Toujours la même fable des féroces Turcs, mais féroces contre qui, je vous en conjure ! Était-ce contre les Juifs, à qui ils ont accordé la meilleure hospitalité depuis quatre siècles ? Était-ce contre nous, les Français, qu’ils ont accueilli depuis la Renaissance ? Était-ce contre les orthodoxes, à qui Mohammed II avait laissé leur église, leurs écoles et leur langue ? »

Ellis Ashmead Bartlett, le principal correspondant de guerre britannique du conflit, soulignait le même problème, à savoir la grande différence entre ce qui se passait réellement sur le terrain et ce qui en était rapporté ou connu : « (…) Le lieutenant Wagner n’a pas hésité à déclarer, dans une autre dépêche, que les vaillantes mais défaites troupes turques se sont comportées avec une brutalité choquante : ‘Les atrocités commises par les Turcs en retraite sont horribles ; tous les villages ont été réduits en cendres, tous les chrétiens ont été massacrés et des dizaines de cadavres de femmes ont été retrouvé au milieu des corps mutilés. Les réservistes d’Anatolie, en particulier, se sont comportés comme des bêtes sauvages.’ »

« Pauvres, doux, aimables et courtois réservistes d’Anatolie ! », s’exclame alors Ashmead Bartlett, encore une fois présent sur la scène décrite par Wagner. « Vous étiez affamés et désorganisés, et pourtant nous avons marché avec vous de Lule Burgas à Çatalca, soit près de deux cent cinquante kilomètres, sans un passeport ni d’autre document pour prouver qui nous étions, avec un chariot rempli de matériel et de provisions, et aucun d’entre vous ne s’est aventuré à nous molester. Nous étions chrétiens et le roi Ferdinand avait proclamé une guerre sainte, et pourtant l’un de vous a offert de partager avec nous son dernier morceau de pain car nous lui avions donné un verre d’eau. Nous ne vous avons pas non plus vu massacrer et maltraiter de chrétiens ni mutiler leurs femmes, bien qu’ils vous aient fermé leurs portes au nez et refusé de vous donner la nourriture qu’ils possédaient en abondance alors que vous étiez affamés. Leurs troupeaux aussi, vous les avez laissés intacts à votre passage, ainsi que leurs poulets et leur maïs. Peu d’armées européennes se seraient comportées de manière aussi douce et respectueuse que vous. Peu de races auraient pu faire preuve d’un tel esprit de tolérance. »
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Récit contemporain croisé sur le siège d'Antioche :

Jusqu'à ce que les vents de cette odeur soufflent jusqu'aux murs d'Antioche ; alors s'éleva un vacarme furieux, et tous furent fous de malheur.
Sur les maisons, les places et les murs, les paiens s'attroupaient, alors que tout autour l'on entendait le son le plus aigu de la langue des femmes. Le roi Garsion, du haut de son trône, était à l'agonie, avec Isaes, son neveu, et Sansadon, son fils. Garsion dit à ses enfants : "Maintenant, par le grand Mahound, ces diables mangent nos frêres : regardez, dans la plaine en contrebas ! "
Le roi Tafur leva les yeux de son repas et vit les paiens debout ; des hommes, des femmes et des servantes, sur tous les murs d'ou l'on pouvait observer ; cette vue n'éveilla aucune compassion, mais il ordonna que l'on voie bien ses hommes ramasser les corps sur les tas de cadavres ; il fit rôtir ce qui était frais, et jeter ce qui était pourri, dans le ruisseau qui coulait près des murs d'Antioche. " Nous donnerons aux poisson" dit-il, "le goût de la chair de paien pour qu'il puisse la connaître."
(...) Alors du trône ou il se tenait, le roi Garsion appela à grands cris le comte Bohémond, (...) : "Maintenant, par Mahound, vous êtes de bien mauvais chevaliers, faire aux morts un tel affront est une insolence et un péché."
Mais Bohémond répondit : (...) Nous regrettons cette brutale découverte : que le sanglier ou le cerf aient moins bon goût que la chair de paien.
Cependant, ne nous demandez pas de les réprimander, mais plaignez-vous au Ciel."
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"Si nous avions dix hommes comme ‘Umar, nous n'en aurions pas besoin de plus”, disait Sayyid al-Mahdi.
Le général Graziani déclara à son sujet : “‘Umar al-Mukhtar était un chef musulman qui croyait en sa cause. Il eut un grand impact sur ses partisans. Ils se sont battus avec sincérité et loyauté ; et je le dis en raison de ma longue expérience de la guerre. ‘Umar al-Mukhtar était différent des autres par sa stricte religiosité. Il était très attaché à sa religion et se montrait miséricordieux lorsqu’il était victorieux. Sa seule faute est en fait de nous avoir haïs, nous et notre politique. Il n'a jamais fait preuve de faiblesse et n'a jamais eu la volonté de déposer les armes. Il était ferme sur ses principes, et c'est pourquoi nous le respections beaucoup, malgré son opposition à notre encontre."
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Stanley Lane-Poole affirme que “le héros de ce conflit sanglant était Abd-el-Kader, un homme qui a uni dans sa personne et son caractère toutes les vertus des anciens Arabes avec les meilleurs résultats de la civilisation. Issu d'une famille pieuse, lui-même savant et pieux, hajj ayant accompli son pèlerinage à la Mecque, franc, généreux et hospitalier, il était surtout un cavalier exceptionnel, redoutable au combat, animé de l'enthousiasme patriotique propre aux meneurs d'hommes nés ; Abd-el-Kader devint le chef reconnu des insurgés arabes.” Charles Churchill nous dit pour sa part : “C’était un guerrier triomphant, là où même les plus combattifs avaient de quoi désespérer, un chef victorieux dans toutes les difficultés malgré un parcours totalement méconnu, mais un guerrier dont l'épée n'a quitté son fourreau que lorsque ce fut nécessaire. C’est un dirigeant qui, ayant goûté au pouvoir suprême, désirait avec douceur et sans ostentation que la coupe passe à autre que lui, et qui ne souffrait guère de s’en mouiller les lèvres plus que ne l'exigeait le devoir le plus solennel et le plus sacré envers son pays et son Dieu. (...)” Le même poursuit : “Guerrier, orateur, diplomate, homme d'État et législateur, le secret de sa force réside dans sa grandeur intellectuelle. Ses lettres, ses discours et ses conversations sont marqués d'une fraîcheur et d'une originalité qui lui sont propres. Son éloquence naturelle, renforcée par ses études, affinée par la méditation et réhaussée par les grâces singulières de son caractère, fonctionnait comme un charme.”
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En parlant de contre-offensive décisive contre les grecs qui sauva la Turquie de l'annihilation totale, en aout 1922 :

Mais pour que ce plan fonctionne, il faudrait réunir quatre indispensables conditions préalables : déplacer suffisamment d'hommes du Nord au Sud à proximité immédiate du front ennemi et dans le plus grand secret ; attaquer rapidement en s'appuyant sur l'effet de surprise ; atteindre une coordination parfaite dans le temps et l'espace entre les principales unités de l'armée venant de directions différentes, cavalerie comprise,a fin d'accomplir l'encerclement ; lancer ne attaque soudaine, brève et violente afin de briser l'ennemi une fois pour toutes, car il n'y aurait pas de possibilité de second tour. Tous ces éléments avaient été précisément absents des précédentes opérations ottomanes menées dans les Balkans et pendant la première guerre mondiale ; ils seraient désormais tous réunis à la bataille de Dumlupinar. Toute armée dont le haut commandement est capable de réunir ces quatre conditions préalables et qui peut prendre d'assaut un grand nombre de collines escarpées défendues par des fils barbelés et un ennemi profondément retranché doté de mitrailleuses lourdes, puis le briser, alors qu'il est égale n nombre, en combat au corps-à- corps, capturer ses positions et accomplir son encerclement et sa destruction finale en seulement quelques jours, est dignes des plus grandes annales de l'Histoire. Aucune armée n'avait jamais accompli quelque chose de semblable dans toute l'histoire de la guerre !
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“L’on m’a raconté des histoires que l’auditeur peut à peine croire, sur la terreur des Tartares qu’Allâh a jetée dans le cœur des hommes ; l’on dit qu’un seul d’entre eux pouvait entrer dans un village, ou un quartier, où se trouvaient de nombreuses personnes, et les tuer les unes après les autres, sans que personne n’ose lever la main contre ce cavalier.
J’ai entendu dire que l’un d’entre eux avait fait un prisonnier, mais qu’il n’avait pas d’arme pour le tuer ; il dit alors à son prisonnier : ‘Pose ta tête sur le sol et ne bouge pas’, ce qu’il fit et le Tartare alla chercher son épée pour le tuer.
Un autre homme m’a raconté ce qui suit : ‘J’allais, me dit-il, avec dix- sept autres personnes le long d’une route, et un cavalier tartare nous rencontra et nous demanda de nous lier les bras les uns aux autres.
Mes compagnons se mirent à faire ce qu’il leur demandait, mais je leur dis : ‘Ce n’est qu’un homme seul ; pourquoi donc ne le tuons-nous pas et ne nous enfuyons-nous pas ?’
Ils répondirent : ‘Nous avons peur.’
Je leur dis : ‘Cet homme a l’intention de vous tuer sur-le-champ ; tuons-le donc afin qu’Allâh nous accorde peut-être la délivrance.’
Mais je jure par Allâh que pas un seul d’entre eux n’a osé le faire, alors j’ai pris un couteau et je l’ai tué, et nous avons couru pour nous échapper.
’Et de tels événements sont nombreux.”

- Ibn al-Athîr, cité dans : “Histoire des Croisades” (Tome II)
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