Sandra Laguilliez

Les effets de la drogue se dissipent. Il se sent de moins en moins maître du monde. Il n’aime pas la descente, elle lui laisse un goût amer. Lenny glisse dans ses pensées comme dans un rêve. Le ronronnement du bolide l’apaise. Son coup de chaud est passé, il remonte la vitre et ferme les yeux de nouveau. Il songe à Éva, à son corps bien roulé dans ses vêtements haut de gamme. Ils se sont rencontrés dans une salle de sport, lorsqu’il a su qu’elle était journaliste, Lenny s’est dit que c’était tout à son avantage de la côtoyer, mais cela s’était arrêté là, jusqu’à ce qu’elle lui propose de s’envoyer en l’air.

Elle est banale, avec ses prunelles grises, son nez long et ses joues creuses. Elle ne porte aucun maquillage et son allure est d’une banalité déconcertante, avec ses cheveux coupés au niveau de son menton. Son visage est totalement dénué d’émotion. Lenny lui demande si elle est défoncée. Elle ne répond pas. Il raffermit sa poigne autour de son Uzi. Il renifle. Elle ne paraît pas droguée. Lenny la détaille avec attention pour s’assurer qu’elle ne risque pas de lui faire une entourloupe. Elle est immobile, silencieuse et rien dans sa posture ne laisse présager qu’elle soit armée.

Il ne se rappelle pas la dernière fois qu’il a eu une véritable relation. Tellement d’eau a coulé sous les ponts depuis. Il ne s’engage jamais pour de bon, il n’a pas le temps pour cela. À présent, il est là, dans cette chambre, face à deux créatures aux yeux vides. Son membre viril demeure inanimé. Elles ont l’air de mannequins sans âme avec leurs visages trop maquillés, leurs regards éteints et leurs faux ongles. Tout est artificiel. Même la vue des sous-vêtements de Julie l’excite plus que cette passe. Il étouffe dans cette pièce.

Lenny songe aux femmes avec lesquelles il prend du bon temps. L’intruse aux cheveux bleus ne leur ressemble en rien. Il couche avec les filles qui gravitent autour du gang, mais jamais les lèvres qui se pressent contre les siennes n’ont cette sauvagerie et cette liberté. Même Éva Collins n’est pas autant dangereusement érotique. Lenny refuse de penser à la journaliste, car il sait qu’un jour elle lui apportera autant d’emmerdes que de plaisir. Cette histoire, aussi, pue sévère. Il rouvre les yeux. Fini de rêvasser.

Elle ment avec une assurance digne d’un joueur de poker, évoque son besoin de faire un tour pour oublier la honte qu’elle éprouve d’être si pauvre. Elle fournit un alibi à Jésus. Elle jure qu’il est resté avec elle, car il la suivait en voiture. Tout aussi aisément, elle explique qu’ils ont retrouvé Luigi et Lenny. Bien sûr, Ély se trouvait avec sa mère à regarder la télévision, une journée banale en somme.

Lenny a besoin de calme pour réfléchir et souhaite impliquer le moins de monde possible dans les embrouilles. Alors il demande à son numéro deux de fermer la porte. Jésus s’exécute. Personne ne bronche, pas même l’inconnue. Elle continue de le dévisager. Lenny ravale sa salive. Elle le met mal à l’aise. Ils sont cinq et armés, elle peut perdre la vie à tout moment, pourtant, elle demeure impassible.

À la manière dont elle est assise, Lenny devine la forme de son sexe à travers le lycra blanc de son sous-vêtement. Elle est plus appétissante que les filles du club. Elle ne le craint pas et c’est érotique. Il se remémore le goût de ses lèvres et il sent encore la chaleur de son corps contre le sien lorsqu’elle lui a rendu l’arme de Jésus. Cette gamine est d’une folie sans nom.

Elle déteste l’odeur des encens et des chandelles. Les bancs sont vides, usés tout autant que les Bibles qui se trouvent à l’entrée. Elle a remarqué des publicités pour inciter à faire des dons à la paroisse, à des associations humanitaires et pour le catéchisme. Tout cela est pathétique. Elle n’a qu’une religion et elle ne se pratique pas à l’intérieur d’un lieu de culte.

La présence de cette fille aux cheveux bleus, trop silencieuse pour être honnête, est inexplicable, mais porter plainte cela signifie que les condés fouilleront les lieux. Les Unitas risquent d’y perdre plus que d’y gagner. Lenny pense aux armes dans son coffre, à la cocaïne et à la weed qu’ils trouveront s’ils ouvrent les placards. Son estomac se serre à cette idée.

Il a le cerveau en ébullition. Trop de questions en suspens, trop de mystères qu’il n’arrive pas à percer. Youri n’a pas bougé d’un centimètre, ces hommes non plus, alors Lenny reporte son attention sur Julie. Jésus a l’air anéanti. Même Luigi bat des paupières comme si la scène qu’il venait de vivre ne pouvait être qu’un rêve dont il cherche à se réveiller.