On a bouffé des frites à la terrasse d’un snack qui faisait face au fleuve. J’ai eu droit aux aventures de Vic le marin qui prétendait avoir parcouru la planète sans jamais avoir connu le mal de mer. Tout emmêlés, ses souvenirs ne correspondaient en rien à ce qui me revenait en mémoire. Peut-être mentait-il, mais ça n’avait aucune importance. Ce qui comptait, dans ces récits, se trouvait au delà des faits. La plus grande des vérités s’étalait sous mes yeux sans que j’eusse dû fournir le moindre effort. Je saisissais un peu mieux la nature du bonhomme en l’entendant raconter ses histoires où il n’y avait nulle trace de ma mère, ni de Marie, ni de Karl, ni de moi-même. Il n’y avait que lui. Seul et, me semblait-il, heureux de l’être.
Contrairement à ce qu’on dit, le visage n’est pas le miroir de l’âme. À preuve, elle, Alicia, ma mère, avait l’âme vide, mais son visage était un fourre-tout de brocante. Elle se composait une gueule avant même d’y réfléchir. C’était devenu chez elle un réflexe naturel. Alicia, ma mère, était la seule personne que je connaissais qui était capable de mentir avec son visage. Elle avait des amants qui se succédaient et je ne comprenais pas comment elle arrivait à les charmer. Elle leur mentait, ils lui mentaient et, ainsi, chacun semblait y trouver son compte.