Citations de Serge Safran (12)
sourire rester puis se taire
sourire enfin sans rien dire
savoir surtout ce qu’il faut faire
pour que les larmes soient le rire
comme l’air libre le vol noir
l’argile l’aigle la surprise
soudain vers l’aube lâcher prise
et puis mourir d’ivresse douce
ciel comme peint
en bleu de méthylène
sans étoiles
façades comme peintes
en chamades torpeurs
toutes de pierres
faîtes de nuit
mais les rivières des veines
les soleils sous paupieres
maisons pleines d'étincelles
voûtes d'évasion
toutes volières d'aubes froissées
Le Casino Venier ne peut plus être le casino qu'il fut. Il y a bien sûr la Venise des touristes, il y a aussi, il y a surtout, la Venise des Vénitiens. C'est à cette Venise qu'il s'adresse, cette Venise qu'il voudrait attirer, vers cette Venise qu'il se tourne.
De métaphores animalières en allusions grivoises, l'art de la bouche se confond à celui des bouches, gorges profondes et orifices.
C'était la fin du printemps. Par les fenêtres ouvertes, qui restaient magiquement suspendues, entraient par bribes les chants des gondoliers. Leur voix venait briser le silence des oiseaux verts et rose pâle, si gracieusement figés dans leur gypse centenaire. Les stucs en volutes imitaient leurs envols interdits à jamais.
Le Casino Venier, c'est une bonbonnière et vous êtes la confiserie, un écrin et vous êtes le bijou.
Pourtant, quand, après avoir déploré ce spectacle, je suis rentré dans le salon du casino, dans son intimité protectrice, raffinée et scintillante, il m'est apparu comme ce qui restait de l'essence d'une Venise sauvée. Je l'ai senti éperdument. Sa qualité de grotte marine, son retrait silencieux, tout un décor préservé du fond des temps, ses fresques célestes peuplées de divinités folâtres, tout cela sauvait Venise de cette profanation répétée qui se produisait en bas.
D'ailleurs j'ai noté que lorsque j'entre en sympathie avec des lieux comme celui-ci se produit un processus physique qui fait que je me métamorphose au point de devenir la substance du lieu et que moi-même je deviens une sorte de relique. Je n'aspire plus qu'à être une relique, non pas pour que l'on me révère ou tire de moi quelque miracle ou guérison, mais pour que, ayant atteint un degré suprême de désincarnation ou d'immortalité, je ne sois plus que l'essence d'un lieu qui m'a séduit.
D'autres tuyaux et d'autres grilles ici et là placés permettaient d'entendre tout et de tout dire en étant sûr d'être entendu. Un balcon fermé, le liagò, permettait de voir en douce au-dehors. C'était la maison des secrets mal tenus et des confessions courant d'air. On y riait beaucoup, on y perdait beaucoup, on y gagnait parfois et les cœurs s'y froissaient en silence.
La morphologie même de la Cité-île évoque les virgules symétriques, enchâssées tête-bêche, du symbole du Yin et du Yang.
Je l'attendais dehors, dans la rue, devant les palais dans lesquels elle travaillait. C'est de ce temps que j'ai pris le goût de l'air libre. On pourrait croire que je suis un clochard, mais je ne me vois pas comme cela. Je suis quelqu'un qui a choisi de ne pas avoir de chaînes aux pieds ni aux mains. C'est tout.
Les hôtes étaient avertis du danger grâce à une minuscule trappe formée d'un morceau de marbre qui se confondait dans la mosaïque du sol. Cette sorte de judas permettait, au moindre bruit de porte, d'observer, depuis l'étage, qui pénétrait dans le vestibule du rez-de-chaussée. C'est une curiosité que l'on peut voir encore aujourd'hui.