Séverine Coëdelo

Et vous ? Vous faites quoi dans la vie ?
Chut ! Ne dites rien. Faites de votre mieux, ça ira très bien !

Perles, pépites et plus
Ressources inépuisables et le plus souvent invraisemblables, ces petites phrases lancées à la volée sont jetées au visage de la caissière sans aucun ménagement. J’ai griffonné les plus épiques sur des Post-it en rentrant chez moi, ou sur-le champ, à chaud, sur la paume de ma main, un ticket de caisse, un coin de page de répertoire. J’écrivais juste un mot ou deux pour me rappeler la scène, en attendant d’avoir le temps de la rédiger dans les détails et de les consigner dans mon ordinateur. Comme ça, sans perspective, juste pour moi, pour donner un sens à mon métier, sans doute. Je les livre aujourd’hui, convaincue que certaines méritent d’entrer dans la mémoire collective. Tour à tour drôles, graves, absurdes, tristes, confidentes ou grotesques, les perles de mes clients valaient bien cet hommage solennel.
Si au cours de mes nombreuses années de caisse, j’ai assez rapidement eu l’impression d’avoir fait le tour du sujet, jamais de toute ma vie je n’ai eu le sentiment d’en avoir fait de même avec la connerie, pas plus qu’avec la misère.

Le prix de l’amour
- Vous pouvez me dire le prix de ça ?
- La cliente me tend une boîte de préservatifs.
- Bien sûr, 7,12 €
- Trop cher, je les prends pas.
Moi qui pensais que l’amour n’avait pas de prix. Le verdict tombe tel un couperet : l’amour a un prix, 7,12 €. La légende s’effondre.

Avec la distance que j’ai aujourd’hui, je suppose que j’ai voulu trouver un intérêt à mes journées. J’ai commencé à observer les clients, mes collègues, à m’attacher à ce magasin et aux individus qui le faisaient tourner, à écrire des petites choses, prendre des notes sur tout ce qui me passait par la tête, inventer du rêve dans un endroit qui n’en inspire pas. Cette ligne de caisses fut le théâtre d’innombrables aventures, de fous rires, de coups bas, de peines, de rencontres, de douleurs, de larmes, d’amitiés, de ras-le-bol.

Un petit garçon dans le siège enfant me tend un paquet de bonbons. Je le lui prends, le scanne et le rend à l’enfant. Il me remercie. La mère lui dit alors :
- Pourquoi tu dis merci ? On va les payer les bonbons.
Que les parents n’apprennent pas la politesse à leurs enfants, c’est une chose. Mais qu’ils leur apprennent précisément à n’être pas polis, allant jusqu’à les corriger s’ils disent merci, selon eux à mauvais escient, c’est puissant.

J’exerce une fonction. Je ne suis pas cette fonction, je ne me réduis pas à elle. Je suis en droit de le prendre pour une atteinte personnelle si on m’insulte et si on s’attaque au rang auquel j’appartiens.

Il faut éduquer à consommer responsable. Dire aux enfants que la publicité ne sert qu’à faire dépenser de l’argent et que même si à la télé c’est l’enfant qui décide pour ses parents, ce n’est pas la vraie vie. L’enfant roi, c’est du pain béni pour l’hyper, puisque c’est lui qui décide du contenu du Caddie. Si on vous colle des enfants insupportables donnant des ordres à leurs parents dans les pubs, c’est parce qu’ils sont vecteurs de consommation. Tout est bon pour vendre. On vous présente des gosses têtes à claques mal éduqués en vous faisant croire que c’est la norme. Il faut l’expliquer aux enfants, leur dire que ce n’est pas à eux de tenir les cordons de la bourse et que les enfants des pubs sont payés pour leur faire croire le contraire.

Le personnel est une tribu oubliée. La seule fraction d’un peuple que la grande distribution n’aurait aucun intérêt à séduire.