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Citation de Nemorino


Nounou, qui devint notre cuisinière une fois que nous fûmes grands, était une veuve originaire du Demavend, la haute vallée où nous passions nos vacances d’été. Elle portait le costume traditionnel : une robe à fleurs sur un pantalon bouffant et un foulard blanc attaché sous le menton. Quand elle sortait, événement rare, elle enfilait un léger tchador. Elle avait le teint rose et les yeux vifs des montagnardes, un doux sourire et une nature angélique. Elle était simple et dévouée, en émerveillement permanent devant l’ingéniosité de Dieu et la beauté du monde : une abeille, une fleur, la chair sucrée d’un melon, tout lui tirait des « Oh ! » et des « Ah ! »
En été, lorsque les rosiers étaient en fleur, Nounou faisait le tour du jardin pour admirer et humer leur parfum en rendant hommage au Seigneur et à Sa munificence. Elle s’arrêtait toujours devant la même variété de fleur, rose et capiteuse, appelée « la rose de Mohammad » dont étaient extraites l’essence et l’eau de rose. Elle plongeait le nez dans la fleur la plus somptueuse, inspirait profondément sa puissante odeur, puis expirait en articulant cette pieuse invocation : « Bénis soient le Prophète et les croyants ! » A cet instant précis, une abeille, cachée sous un pétale, venait lui piquer le bout du nez. Ses cris résonnaient dans tout le jardin, suivis d’un formidable remue-ménage. Quelqu’un essayait de faire sortir le poison en lui pressant sur le nez, initiative qui ne faisait que déclencher un nouveau chapelet de cris, et un regain d’agitation. Pendant une bonne semaine, le nez de Nounou gardait la taille et la couleur d’une petite betterave dont la peau aurait eu le granulé poreux d’un nez de buveur de gin impénitent.
— C’est tous les ans la même chose, Nounou. Pourquoi recommences-tu ? lui demandions-nous.
— Vous ne vous étonnez donc pas de la merveilleuse intelligence e Dieu ? Il a donné son parfum à la rose pour attirer l’abeille qui fabriquera le miel. Vous mangez du miel à votre petit-déjeuner, mais vous refusez de rendre hommage à Celui qui l’a fait !
Elle oubliait vite l’accident et, l’été suivant, transportée par la flamboyante luxuriance du jardin des roses et ses enivrants effluves, elle répétait le même scénario.
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