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Citation de Charybde2


Je ne me repère plus très bien, mais je pense que c’était le hall D. Je monte les marches derrière Olivier. Avec mes béquilles, je ne fais pas la maligne. J’essaie de ne pas penser à ce qui arriverait si soudain il fallait se mettre à courir.
Au premier étage, les portes des appartements sont fermées. Nous poursuivons. Toutes sortes de bruits se mélangent. Des multitudes de battements à toute vitesse, des sons métalliques, des cliquetis, des sons plus sourds, d’autres qui claquent comme des coups de fouet. Et puis de temps en temps, à faire sursauter, une porte, Blam ! Le vent sifflant, tranchant. Mais ce n’est pas de la vie ce qu’on perçoit, tous ces bruits passent sur le silence épais qui imprègne l’immeuble. Et en fond, permanent, à voir, à entendre, telles des voitures incessantes sur une autoroute, les vagues.
Au deuxième étage, une porte est entrouverte. L’appartement est vide. Au fond, devant la fenêtre, deux chaises sont installées. Comme si on nous attendait.
On s’est assis. Chacun à notre place. Silencieux. Le regard plongé dans l’océan. Ce n’était pas un immeuble, mais un bateau. J’étais captivée. Un choc esthétique. Poétique.
Dans un conte, ce serait l’endroit du sortilège. À partir du moment où je m’assois à cette place désignée, je suis liée pour toujours à l’histoire du Signal. Et, pour m’en défaire, peut-être, toutes ces choses à écrire.
C’est un des rares objets que nous avons volés, la chaise marron. Nous avons laissé l’autre, une chaise de jardin, verte, en plastique. Depuis, elle a disparu aussi.
Plusieurs mois après, devant Le Signal, nous rencontrerons le propriétaire d’un des appartements, à qui nous raconterons la scène – cet instant précis où Le Signal s’est cristallisé en moi, dans une sorte d’image parfaite : les deux chaises côte à côte, l’organisation des regards tournés vers la mer, comme si notre venue était prévue, voulue, comme si tout coïncidait avec notre désir. Et sans savoir que c’était de son appartement qu’on parlait, nous lui avions avoué le vol de la chaise, comme une preuve de l’importance, de la beauté de ce que nous avions vécu. C’était sa chaise. Et c’était chez lui. Je ne me sentais pas très fière.
Malgré l’expulsion, il revenait certains soirs dans son salon : pour regarder la mer. Il avait acheté un appartement au Signal pour ça, parce qu’il aimait les éléments… Il ne nous en voulait pas, il préférait savoir que les voleurs étaient des poètes un peu fétichistes. Il nous a autorisés à la garder.
Le vol de la chaise marque le début de cette possession – de moi ou de l’immeuble, qui possédait l’autre ? -, peut-être nourrie de ce plaisir coupable de s’approprier, peut-être l’immeuble inversant sa fonction d’être habité, à tous les deux s’envahir.
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