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EAN : 9782360841462
Inculte éditions (09/02/2022)
3.76/5   34 notes
Résumé :
Une histoire d'amour hors du commun, entre une écrivaine et un immeuble : Le Signal. L'histoire d'un rêve immobilier ayant viré au cauchemar, du fait de l'érosion marine. Comment habiter un lieu abandonné, comment l'aimer, que retenir de sa dégradation : une enquête menée par Sophie Poirier, alliant sociologie et poésie.
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Le Signal c'est cet immeuble situé directement sur la plage de Soulac, dans le Médoc, devenu récemment symbole du réchauffement climatique et de l'érosion marine. Construit à la fin des années 1960, vantés par ses promoteurs pour sa situation magnifique avec l'océan juste sous les fenêtres des appartements (ils n'auraient pas cru si bien dire !), il a dû être brusquement évacué en 2014 : l'océan gagnait peu à peu du terrain et grignotait la plage, au point que la construction a été jugée en danger d'effondrement. Sophie Poirier, écrivaine bordelaise, découvre cet immeuble un peu par hasard et en tombe aussitôt amoureuse : de visites secrètes dans les appartements abandonnés en recherches sur l'histoire de l'immeuble, elle construit peu à peu ce récit pas comme les autres.

En plus de l'envie d'en savoir plus sur cet immeuble abandonné que moi aussi j'ai croisé de nombreuses fois sans y prêter vraiment attention lors de mes visites à Soulac, jusqu'à entendre parler de lui par les médias, c'est d'abord l'écriture de l'auteure qui m'a fait me plonger dans ce roman. En quelques mots, elle nous plonge dans l'ambiance de la petite station balnéaire, bout du monde au fin fond du Médoc et séparée de la côte plus au nord par l'estuaire de la Gironde, ville balnéaire symbole du faste de la Belle Epoque qui ressuscite chaque année cette période lors d'une grande fête en costumes, synonyme de vacances, de plages à l'infini, de rouleaux et de baïnes, et rêve d'évasion et de bonheur pour tous les propriétaires qui se sont laissés convaincre d'acheter un appartement au Signal. Son récit mêle descriptions poétiques de ces appartements maintenant vides, dont l'évacuation fut décidée si soudainement que certains propriétaires ne purent même pas récupérer l'ensemble de leurs possessions, considérations plus politiques sur l'histoire de la construction et la manière dont l'érosion inéluctable redessine peu à peu la côte et parenthèses vers d'autres contrées, notamment un hôtel abandonné sur une petite île grecque qui ressemble étrangement à son cher Signal.

C'est un récit très agréable à lire, toujours passionnant sans jamais nous noyer dans de longues considérations ou descriptions, intéressant à plus d'un titre dans ce qu'il dessine en creux sur l'histoire des littoraux et stations balnéaires, le rôle de l'architecture et la manière dont les hommes pensent contrôler la nature. Une lecture inclassable et passionnante, plein de charme et de poésie, complétée par les magnifiques photos de Olivier Crouzel avec qui l'auteure a partagé un projet artistique concernant le Signal. A découvrir si vous êtes curieux et/ou amoureux de ce petit coin de côté !
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Ce n'est pas en 2023 que j'aurais dû lire ce livre, mais bien avant qu'il soit écrit, bien avant la naissance de l'auteur, « au temps (lointain) de ma jeunesse folle ». le monde est vraiment mal fait ! J'y aurais trouvé matière à étoffer mon argumentation sur le sujet suivant que tout le monde, un jour ou l'autre, a eu à se coltiner :
« Vous commenterez ces vers De Lamartine : Objets inanimés, avez-vous donc une âme/ qui s'attache à votre âme et la force d'aimer ? »
L'objet inanimé en question est ici un immeuble, le Signal à Soulac, abandonné par ses résidants à la suite d' un arrêté préfectoral pour cause d'érosion de la côte et de danger d'écroulement. Sophie Poirier découvre cet immeuble par hasard et aussitôt « un trouble s'emparant de son âme éperdue », elle en tombe amoureuse, pardon elle « tombe en amour de cet immeuble » pour reprendre son expression, quelle croit plus poétique sans doute !!! On est saisi par tant de candeur et d'étrangeté. Avoir le coup de foudre pour une barre d'immeuble, pour un bloc de béton, avouez que ce n'est pas courant mais, après tout, « l'amour a ses raisons... » et un « ver de terre » peut bien être « amoureux d'une étoile » ! Bref on ne sait si cet objet inanimé, abandonné, voué à la destruction, a une âme mais ce que l'on sait c'est que l'autrice lui en donne une à laquelle elle va s'attacher et tout au long de son récit, son imagination aidant, elle va en faire, avec une certaine réussite, un objet animé.
« Cet objet d'amour, d'une taille colossale » elle va le faire revivre, en meubler l'absence si je puis dire. D'abord en évoquant les objets échappés au vandalisme (boîte à couture, panier à salade, matelas, deux chaises devant la fenêtre…) objets qui sont les témoins d'une présence humaine disparue, « figés dans l'attente d'un visiteur aimant ou d'un retour ». Et elle, « cette intruse, voyeuse », va s'attacher à raconter l'histoire de ces appartements, recréer la vie des absents, des anciens propriétaires expulsés, s'introduire dans leur quotidien et « à jouer aux vies des autres ». Et c'est là que son roman est le plus attachant. le simple témoignage, journalistique, prosaïque pour évoquer l'évolution de la situation de l'immeuble, alterne avec une écriture plus recherchée, plus subtile, non dénuée de charme et qui peut provoquer chez le lecteur – a de bien rares occasions toutefois- une joie mélancolique, une tristesse douloureuse bref, l'un des effets de la beauté poétique (p.45 p.e.).

Que lire après le signal ? A cette question posée dans la fameuse rubrique de Babelio, je réponds sans hésitation : Une maison à Bogotá de Santiago Gamboa.
Ce livre que l'éditeur présente ainsi en quatrième de couverture : « Après obtention d'un prix littéraire, un professeur de philologie achète la maison dont il a toujours rêvé. Depuis son enfance, ce lieu le fascine et l'obsède sans qu'il comprenne le pourquoi de cette attraction. Dès le moment où il en devient propriétaire et déménage dans cette vieille maison en plein centre de Bogotá, chaque chambre, chaque coin et chaque objet qu'il déballe donnent lieu au récit fascinant de la vie du narrateur, riche en voyages, lectures, désirs et aventures. »
L'aspect écologique en moins, on y trouve la même attirance et le même attachement pour un immeuble, la même description des nombreuses pièces, les mêmes recours à la digression, la même catastrophe finale ...

Souhaitons à Sophie Poirier d'obtenir, elle aussi, un prix littéraire ; ce ne sera pas, en tous cas, celui de l'Escale du livre, disparu, corps et biens, cette année... comme l'immeuble de Soulac.
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Quelle drôle d'idée que de consacrer un ouvrage à un immeuble et de le voir évoluer au fil des ans !
Oui mais cet édifice est tout à fait particulier. Il s'agit en effet du Signal ,immeuble d'habitations construit entre 1965 et 1970 en bord de mer et destiné à offrir une vue imprenable à des populations modestes dont c'était le rêve de toute une vie.
Las, le rêve vire au cauchemar car l'érosion marine a été plus rapide que prévu, réchauffement climatique oblige, et l'océan qui a gagné sur la côte aquitaine a chassé les propriétaires de  leurs appartements.
Coup de foudre en 2014 pour Sophie Poirier qui suit, fascinée son évolution, imagine les vies des propriétaires expulsés et en procès avec les autorités. 
Cet immeuble fait aussi résonner en elle des relations à d'autres habitations et ouvre simultanément l'imaginaire de ses lectrices et lecteurs.
Le Signal fonctionne donc comme une formidable machine à rêver , tantôt poétique, tantôt prosaïque, n'occulte en rien les aspects sociaux et environnementaux et nous fait à notre tour tomber en amour pour cet immeuble promis à la démolition cette année.


Et zou, sur l'étagère des indispensables !

à noter également les photographies d'Olivier Crouzel . 



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D'un immeuble en bord de plage, puissamment symbolique et voué à la démolition, extraire une intense et poétique histoire d'amour incalculable.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/03/30/note-de-lecture-le-signal-sophie-poirier/

Le Signal est un immeuble résidentiel, construit en 1970 à Soulac-sur-Mer, sur le littoral atlantique médocain, à 200 mètres de la mer (à marée haute), à l'époque. Immeuble pionnier d'un vaste projet résidentiel ensuite abandonné (pour les raisons économiques souvent mystérieuses – ou non – qui affectent ainsi la promotion immobilière), il restera, seul, témoin d'une gentille ambition balnéaire n'ayant pas (suffisamment) pris en compte l'érosion, celle-là même qui hantait et creusait en 2020 le superbe et inquiétant « Nos corps érodés » de Valérie Cibot, et les quatre à cinq mètres que l'océan gagne ici tous les ans sur la terre… Déclaré inhabitable en 2014, il voit ses habitants expulsés presque du jour au lendemain par un certain Didier Lallement, alors préfet de Gironde, dont la brutalité satisfaite n'était pas encore devenue légendaire, habitants ensuite condamnés (en vertu de quoi : d'avoir voulu regarder la mer depuis leur « chez eux », sous les encouragements et les assurances du capitaliste constructeur et de l'État certificateur étroitement alliés alors) à un long combat judiciaire pour obtenir une maigre indemnisation au bout de sept années de labeur désabusé.

D'une langue tour à tour subtile ou brutale, simple ou raffinée, Sophie Poirier, avec ce texte publié chez Inculte Dernière Marge en janvier 2022, nous invite à partager l'envoûtement de ce lieu devenu puissamment multi-symbolique, à partager son errance poétique en compagnie de son acolyte maître des images, Olivier Crouzel (dont il faut absolument visiter le site, ici), à s'immiscer dans une intimité géographique enfouie et bafouée pour en éprouver discrètement toute la résonance bien contemporaine.

Ancré simultanément dans les codes implicites et explicites de l'exploration urbaine, plus familière sous son condensat d'urbex (même si les conditions particulières de l'abandon du bâtiment le rapprochent sans doute davantage d'une situation à la Pripiat – à éprouver chez Patrick Imbert ou chez Emmanuel Lepage – que de celle, plus « normale » en apparence des friches de l'ex-RDA hantées avec brio par Nicolas Offenstadt), et de la psychogéographie (même s'il n'y a pas sans doute pas ici de dérive à proprement parler, au sens situationniste qui continuait à irriguer par exemple le pas de Philippe Vasset et de son « Livre blanc » ou de Xavier Boissel et de son « Paris est un leurre », mais plutôt une profonde mise en poésie et en mystère, en s'appuyant le moment venu sur une unique et rusée résonance, celle de l'hôtel désaffecté White Beach en Grèce), « le Signal » est une créature entièrement à part. On y retrouvera encore magnifiés sans doute le sens aigu de l'observation simultanément empathique et critique (au sens fort – et sain – du terme) que l'on pouvait déjà apprécier dans « Les points communs » en 2018 et sur le beau blog L'expérience du désordre (ici), en permanence, comme la capacité à jouer d'une écriture majoritairement pudique ne dédaignant pourtant pas de soudains coups de force, pour dire énormément avec peu de mots et de rusés silences, capacité que l'on avait déjà ressentie un peu plus qu'en germe à la lecture de « Mon père n'est pas mort à Venise » et de « La libraire a aimé », il y a déjà un certain temps. C'est peut-être bien aussi qu'à nouveau, ce texte protéiforme est, en son centre pas si secret, celui d'une histoire d'amour, surprenante et intense – et que l'objet apparent en soit un immeuble voué à une prochaine destruction après avoir incarné d'humbles rêves prométhéens ne la rend que plus poignante dans sa magie.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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On l'avait surnommé "la verrue". le Signal a dressé sa masse rectangulaire face à l'océan Atlantique pendant presque cinquante ans. Quatre étages, deux bâtiments se décrochant à peine l'un de l'autre : le projet initial, qui en prévoyait neuf, a été revu à la baisse avec la liquidation judiciaire du promoteur. Ce sont ainsi soixante-seize appartements qui furent livrés entre 1970 et 1972, à des acheteurs majoritairement issus de la classe moyenne. La plupart ont pour projet, lorsqu'aura sonné l'heure de la retraite, d'y finir leurs jours et d'y accueillir leurs petits-enfants. Lorsque les premiers propriétaires s'y installent, la vie ressemble encore à celle des Trente Glorieuses, insouciante et d'un confort croissant. Malgré la dimension alarmante du nom donné à la résidence, il n'y a aucune raison d'inquiétude.
Sophie Poirier a aimé cet immeuble, sans rationalité, au moment où sa disparition a été programmée. Nous sommes en novembre 2014, elle vient à Soulac-sur-Mer, dans le nord du Médoc -elle vit en région bordelaise- pour écrire. le Signal a alors été vidé de ses habitants, et va être détruit. L'érosion a eu raison de lui. Lors de sa construction, deux cents mètres de plage le séparait de l'eau. La dernière tempête l'en a mis à moins de dix mètres. L'accès direct à la plage tant vanté lors de sa construction sonne désormais avec beaucoup d'ironie.

Lorsqu'elle le découvre, on y devine déjà les intrusions de bandes de jeunes venus y passer des soirées arrosées : des fenêtres sont brisées, des tags ornent les murs, les barrières mises pour en empêcher l'approche sont déjà pour certaines soulevées, pour d'autres affaissés. Elle déambule dans le bâtiment, à l'écoute de la multitude de bruits que provoque le vent -claquements, battements, cliquetis- sous lesquels on devine le silence épais des endroits vidés de leurs habitants. En fond, le bruit permanent des vagues. La vue sur l'océan depuis la fenêtre d'un appartement où elle s'est introduit lui provoque un "choc poétique".

Son intérêt pour l'immeuble est une expérience instinctive, qui suscite un désir très fort de raconter son histoire, un désir qui entre en résonnance avec celui, identique, de son ami artiste Olivier. Elle écrit des textes à son sujet, un reportage puis une fiction poétique. Lui filme et photographie. Lors de la "marée du siècle", ils organisent un spectacle mêlant projections vidéo sur la façade du Signal et poésie recitée par Sophie. Ils rencontrent quelques sinistrés, qui évoquent la nécessité de se déprendre du lieu dans l'urgence, la violence du déménagement, en présence de gens sur le parking qui attendaient pour récupérer ce qu'ils ne pourraient emmener. Ils pénètrent régulièrement dans l'immeuble et y déambulent, observent les objets épars témoignant de l'abandon, l'orange des moquettes rappelant la mode des années 1970, s'installent dans certains appartements et y passent un moment. le Signal abrite une succession de décors et d'histoires, souvenirs de quarante-six étés d'allers-retours entre l'appartement et la plage, de vies de vacanciers, avec pour support des endroits presque vides, d'autres ou les pièces comportent encore un mobilier complet, matériau romanesque à partir duquel l'auteure imagine des histoires individuelles.

Elle se l'approprie en l'écrivant, le personnifie, il devient comme un proche auquel elle pense souvent, compatissante lorsqu'elle sait les conditions météo mauvaises, considérant comme une souillure les dégradations que lui font subir les visiteurs mal intentionnés, éprouvant de la peine lorsqu'on en dit du mal. C'est un bâtiment que personne ne veut sauver parce qu'il est laid, et qu'il coûterait trop cher à protéger. Elle, elle le trouve beau, surtout dans la lumière du soir quand le soleil se reflète dans ses vitres, ou lorsqu'elle contemple, au fil de sa destruction, les nouveaux paysages offerts par la mer à travers ses ouvertures.

Elle y ressent le déchirement des départs, mais aussi la folie des hommes, qui jouent avec la beauté et la massacrent. Avec son invasion par le vent, la menace que l'eau lui fait subir, il aurait pu avoir pour vocation de nous rappeler notre fragilité. Car le Signal n'est-il pas en réalité le symbole de la catastrophe à venir mais aussi de nous-mêmes, pris dans la tourmente provoquée par nos positions tenaces et absurdes ?
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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critiques presse (1)
SudOuestPresse
23 février 2022
L’auteure bordelaise Sophie Poirier signe une merveilleuse rêverie et promenade vers ce bâtiment de Soulac-sur-Mer devenu malgré lui un symbole de l’érosion inexorable du littoral
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Je ne me repère plus très bien, mais je pense que c’était le hall D. Je monte les marches derrière Olivier. Avec mes béquilles, je ne fais pas la maligne. J’essaie de ne pas penser à ce qui arriverait si soudain il fallait se mettre à courir.
Au premier étage, les portes des appartements sont fermées. Nous poursuivons. Toutes sortes de bruits se mélangent. Des multitudes de battements à toute vitesse, des sons métalliques, des cliquetis, des sons plus sourds, d’autres qui claquent comme des coups de fouet. Et puis de temps en temps, à faire sursauter, une porte, Blam ! Le vent sifflant, tranchant. Mais ce n’est pas de la vie ce qu’on perçoit, tous ces bruits passent sur le silence épais qui imprègne l’immeuble. Et en fond, permanent, à voir, à entendre, telles des voitures incessantes sur une autoroute, les vagues.
Au deuxième étage, une porte est entrouverte. L’appartement est vide. Au fond, devant la fenêtre, deux chaises sont installées. Comme si on nous attendait.
On s’est assis. Chacun à notre place. Silencieux. Le regard plongé dans l’océan. Ce n’était pas un immeuble, mais un bateau. J’étais captivée. Un choc esthétique. Poétique.
Dans un conte, ce serait l’endroit du sortilège. À partir du moment où je m’assois à cette place désignée, je suis liée pour toujours à l’histoire du Signal. Et, pour m’en défaire, peut-être, toutes ces choses à écrire.
C’est un des rares objets que nous avons volés, la chaise marron. Nous avons laissé l’autre, une chaise de jardin, verte, en plastique. Depuis, elle a disparu aussi.
Plusieurs mois après, devant Le Signal, nous rencontrerons le propriétaire d’un des appartements, à qui nous raconterons la scène – cet instant précis où Le Signal s’est cristallisé en moi, dans une sorte d’image parfaite : les deux chaises côte à côte, l’organisation des regards tournés vers la mer, comme si notre venue était prévue, voulue, comme si tout coïncidait avec notre désir. Et sans savoir que c’était de son appartement qu’on parlait, nous lui avions avoué le vol de la chaise, comme une preuve de l’importance, de la beauté de ce que nous avions vécu. C’était sa chaise. Et c’était chez lui. Je ne me sentais pas très fière.
Malgré l’expulsion, il revenait certains soirs dans son salon : pour regarder la mer. Il avait acheté un appartement au Signal pour ça, parce qu’il aimait les éléments… Il ne nous en voulait pas, il préférait savoir que les voleurs étaient des poètes un peu fétichistes. Il nous a autorisés à la garder.
Le vol de la chaise marque le début de cette possession – de moi ou de l’immeuble, qui possédait l’autre ? -, peut-être nourrie de ce plaisir coupable de s’approprier, peut-être l’immeuble inversant sa fonction d’être habité, à tous les deux s’envahir.
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Cette station balnéaire n’était pas comme les autres.
Les tamaris tordus ? Mais tous les fronts de mer ont les mêmes arbres penchés.
Les trottoirs de ce rose fané, avec des fissures ?
Ces vieux panneaux de signalisation en ciment effacés, absurdes ; une flèche bleu marine n’indique rien, sauf un but évident, une seule route ; un sens interdit, d’un rouge pâle ; une interdiction de tourner à droite devenue un monochrome blanc à peine lisible, on pouvait s’engager par erreur, s’en excuser.
Un front de mer délavé, souvent ensablé, inauguré en 1963. Depuis, les drapeaux de différents pays flottent en haut des mâts installés le long du boulevard. Maintenant, ils sont parfois remplacés par des oriflammes violettes et rose vif sur lesquelles est écrit Océanesque. La mairie a lancé des travaux pour le réhabiliter, des dates annoncées sur des pancartes, et apparemment du retard pour les entreprendre. Un monsieur m’avait expliqué : Ici, tout prend du temps, et parfois rien n’arrive.
Derrière le portail du musée du Souvenir, une mitraillette rouillée, éventrée, pointe en direction d’un éventuel visiteur. Le lieu, un préfabriqué usé, retrace l’histoire de la Seconde Guerre mondiale dans cette zone du Médoc parsemée de fortifications ennemies. Et des soldats allemands, les yeux dans les vagues, ont sûrement espéré en effet que rien n’arrive… À la pointe, la fin des terres, les dunes s’élèvent, et deviennent des forêts de pins.
On aperçoit au large le phare de Cordouan. Là-bas, l’océan se mêle à l’estuaire de la Gironde, et la nuit, de l’autre côté, la ville de Royan s’éclaire.
Le vent souffle beaucoup sur ce littoral atlantique. Le sable passe par-dessus les murets et peut tout recouvrir en quelques heures, la route et les voitures, comme une tempête de neige. Le long du boulevard, la plage s’étire, immense, avec les baïnes dangereuses qui se forment selon les marées et les années. Parfois, le sable est arraché. L’océan l’emporte, des longueurs de plage peuvent disparaître en une seule tempête. La plage municipale est traversée de longues barrières de bois qui aident à le retenir. Des pancartes jaunes sont plantées au milieu des oyats : Dune fragile.
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Quelqu’un lui a choisi ce nom : Le Signal.
A la fin des années 1960, on pouvait donner des noms pareils aux immeubles. Cinquante ans plus tard, toute la ville regrette – dire qu’on projetait un plan d’urbanisme de neuf bâtiments identiques sur cette artère, plus un hôtel de luxe et un centre de thalassothérapie, des piscines, des commerces. Et maintenant, seul à cet endroit privilégié, on ne voit plus que lui, avec son nom de catastrophe.
La première ligne, on devrait le savoir, surtout ici au Nord-Médoc où on a la mémoire de la guerre, est celle des soldats qui ont peu de chances d’en réchapper.
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Je ressentais pour l’immeuble une affection personnifiée de cette sorte. Je l’imaginais seul, et éventré, aux prises avec la tempête qui le frappait de plein fouet, je le transposais dans un combat solitaire, usant de ses dernières force pour ne pas vaciller, pour ne pas nous quitter. Je le trouvais beau – et même, je lui étais reconnaissante – de tenir bon malgré notre abandon, malgré l’indifférence.
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C'est curieux, parce qu'il prenait une place considérable, particulièrement ces dernières années, cité comme symbole dans beaucoup d'articles et de reportages sur l'érosion, le réchauffement, les réfugiés climatiques, et en même temps, on cherchait à l'effacer.
Nombreux étaient ceux qui avaient hâte de tourner la page, qu'on n'en parle plus, faire comme s'il n'avait jamais existé.
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Vidéo de Sophie Poirier
Sophie Poirier vous présente son ouvrage "La femme domino" aux éditions Inculte-Dernière marge.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/3041275/sophie-poirier-la-femme-domino
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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