Sophie Vuillemin

Nous quittons la maternité un jour de pluie. Je pose le couffin à l’arrière de la voiture et regarde ma fille lutter contre le sommeil. Le trajet traverse l’isthme de Penthièvre. Des deux côtés de la voiture, la mer bat. Calme et sereine, bleu tendre sur la baie, elle blanchit sur la plage ouverte vers l’océan. Des silhouettes colorées poursuivent des cerfs-volants.
(…)L’après-midi, tu t’écroules, endormie, sur une peluche au fond de ton lit. Je m’échappe de la maison. Chaque jour, mes pieds trébuchent sur les pierres du sentier côtier. Je croise des couples de jeunes retraités attirés par la lumière dorée de la région. Nous échangeons un vague signe de tête. Je m’installe entre deux rochers sur un coussin d’herbe rase. Entre les buissons fleurissent des taches roses. Parfois, je descends sur la plage. Dans le sable sombre s’imprime la marque de mes pieds. Je contemple les traces de mon existence avant qu’une vague ne les efface. La mer se retire, lointaine, espérant des jours meilleurs. Elle donne à entrevoir ses entrailles, des flaques d’eau sombre abritant de minuscules crevettes translucides. Une brise tiède balaye la côte. Je retrousse mon jean et plonge les chevilles dans le flot glacé. Je marche sans prendre garde aux vaguelettes gentilles qui humidifient mon pantalon. Une paix liquide descend sur moi. Je reviens crottée, les cheveux emmêlés. Mon cœur est d’acier.

Je ne sais plus si j'en veux de ce bébé. Sa ronde joue qui s'abreuvera à mon sein, ses errances que je relèverai un million de fois, ses fossettes gravées dans mon cœur. Ma vie ressemblera à celle d'un paratonnerre et, un soir, sa silhouette s'éloignera sur un chemin sombre, sans que je comprenne pourquoi.
Lui qui sera peut-être mon plus grand chagrin d 'amour.

Nous sortons le Muscadet et les sardines. La peau rougie de mon visage tiraille. Tu passes la main dans mes cheveux emmêlés, je suis belle comme un brouillon.