Londres ! Métropole grouillante, patrie du moche, du crasseux, du dégueu, du puant et du merdeux, des agressions, des cocktails Molotov, des viols, des hooligans, des bombes et des assassinats. Le Dr Johnson a dit : "Quiconque est las de Londres est las de vivre" - qu'il aille se faire foutre, ce con. Des bâtiments anonymes et monstrueux projetés jusqu'au ciel, imbéciles et hurlants, dans le style connu sous le nom d'Art Lego. Des bâtiments qui, par la faute de leur stérilité, privaient l'artisan de travail - le graveur sur bois, le tailleur de pierre, l'ébéniste, le graveur sur cuivre, le forgeron d'art, le plâtrier, tous perdus désormais parmi les quatre millions de chômeurs. L'architecture était morte, la construction était à la mode, enfoncer le bitoniau A dans la fente B, continuer vers le haut, et voilà! Un espace circonscrit dans du verre. Systématiquement défigurées, les grandes places londoniennes de l'époque classique ! Bouchées, les vues panoramiques de la cathédrale Saint-Paul ! La cause de la protection des monuments historiques survivait à grand peine. Comment espérer la moindre action en profondeur en sachant qu'un jour Michael Heseltine est ministre de l'Environnement, chargé de protéger, le lendemain ministre de la Guerre, chargé de détruire, et que le surlendemain, il n'est plus ministre du tout ?
- Halte ! Qui va là ?
- Hitler, répondis-je.
- Impossible, il est rentré il y a 10 mn.
- On ignore qui on est. On fait partie des amnésiques anonymes de l'armée.
- Quel est le mot de passe ?
- On donne notre langue au chat. Quel est le mot de passe ?
- J'attends ! répliqua la sentinelle.
- Nous aussi... Tu peux nous donner un indice ?
- L'indice est : "quel est le mot de passe ?"
- Une minute, dit Edgington, je l'ai noté sur un bout de papier... Aaaaah, le mot de passe est "poisson"
- Non, ça c'était celui de la nuit dernière.
- Frites ?
- Non.
- Shirley Temple ?
- J'sais pas pourquoi ils m'ont mis de faction, soupira la sentinelle, démoralisée. Ces deux dernières heures, 70 gus se sont pointés et y'en a pas un pour se rappeler du mot de passe ! (...) Que Churchill aille se faire foutre !
Nous l'acclamâmes bruyamment et il nous laissa entrer.
(...) quatre Allemands sortirent d'un abri-tranchée, les mains en l'air.
- Kamerad ! lança leur porte-parole.
Peu habitué aux teutons, Smythe ne sut comment réagir.
- Ouste ! s'exclama-t-il. Dégagez !
- Kamerad Herr General, insistèrent-ils.
- Vous nicht prisonniers, moi occupé, foutez-le camp ! répliqua-t-il (...)
Néanmoins les Allemands le suivirent comme des enfants perdus.
- Oh, bon sang, faites-les monter dans le camion et emmenez-les.
- Où ça, mon lieutenant ? demanda le conducteur Bennett.
- N'importe où ! Conduisez-les n'importe où et dites leur de s'en aller ! Dites "ouste" et tirez-vous !
Ainsi, Bennett les transporta-t-il à proximité du régiment (...) puis les fit descendre et repartit. Là-dessus les infortunés Allemands servirent immédiatement de cibles aux artilleurs.
(...) nous prenions des cachets de Mepacrin, un médicament antipaludique, trois fois par jour, avec des résultats regrettables, car des artilleurs se mirent à jaunir. Woods partit se coucher anglo-saxon et se réveilla chinois.
- Oh, regardez, chop-chop ! m'exclamai-je. Toi combatt' le soldat teuton déguisé en mandalin-citlon.
Pauvre Woods... Cette âme simple tomba en dépression.
- Ça s'en ira, le consolai-je.
- Non, ça s'en ira pas. J'ai essayé de frotter toute la matinée. Je m'suis arraché la peau mais c'est toujours jaune en dessous.
- Ce qu'il vous faut, c'est un avocat, dit le lieutenant Mostyn. Vu votre état, rien ne vous empêche de poursuivre l'armée britannique pour avoir changé votre nationalité sans votre consentement.
- Ce thé a un drôle de goût, dis-je
- C'est le bromure, répliqua l'artilleur Devine. Ça t'empêche d'avoir des pensées coupables pendant les combats. Elles risqueraient de te faire manquer ta cible.
(...)
Le bromure produisit son effet : les onanistes se révélèrent moins actifs et nous allâmes tous nous coucher plus tôt. L'artilleur Moffat n'aimait pas le bromure. C'était un scientiste chrétien. Il s'arrêta de boire du thé au cas où ça "affecterait sa virilité". Le caporal lui dit qu'il y en avait aussi dans la nourriture. Il cessa également de manger et se contenta de fruits locaux, en conséquence de quoi il contracta une dysenterie virulente. Il ne pesait plus que 45 kg lorsqu'il décida de repasser au corned beef.
Quand il atteignit la porte du château il avait vingt minutes de retard ou alors c'était que le château avait vingt minutes d'avance. À tout hasard il retarda sa montre de vingt minutes, puis pour rattraper le temps perdu Il tira très vite sur la sonnette.
- Bon sang ! cria l'artilleur Forrest paniqué, (...) Y'a des soldats noirs qui se battent de notre côté.
Je lui expliquai qu'il s'agissait de la 4ème division indienne.
- Je savais pas qu'on les laissait combattre pour nous (...) C'est vrai quoi, on peut pas faire confiance à ces maudits négros. Mon père dit que c'est tous des fainéants et qu'on peut pas se fier à eux.
Je lui révélai qu'un cinquième de la 8ème armée était composé de "négros" et qu'à cet instant précis, il n'y avait plus que des "négros" entre lui et les boches. Cette nuit-là, je l'entendis pleurer sous ses couvertures et chuchoter à son fusil chargé :
- J'espère que les Allemands leur flanqueront une bonne raclée !
Dans le camion figurait le préposé aux chiottes Forrest : il était illettré mais l'ignorait car il ne savait ni lire ni écrire. Il avait une copine à Bradford dénommée Enid et c'est nous qui répondions de la part de Forrest à ses lettres pleines de naïveté. "Oh, très chère lumière radieuse de l'Amour, en ces lieux où je sers mon monarque et mon pays, un désir pareil à une grande symphonie bourgeonne en moi à chaque fois que je pense à toi. Enid ! Ce nom est magique et ton visage... chaque fois que je saupoudre de la chaux sur la merde, c'est ton cher visage que je vois." Elle cessa de lui écrire.
- Pourquoi quelqu'un doit-il signer pour un tas d'ordures ? demanda Edgington.
- Pourquoi ? Mais pour transmettre la responsabilité de toute cette merde à quelqu'un d'autre ! répondis-je. La vie est faite de bouts de papier. Tu n'existes pas sans un certificat de baptême, tu n'es jamais allé à l'école si tu n'en ressors pas avec un certificat d'études, tu ne peux pas être assuré sans un bulletin de santé bien propre et tu n'es pas légalement mort sans un certificat de décès.
- Idem pour pondre une merde, il faut le papier qui va avec, ajouta Kidgell.
- Hé, toi ! Ici, et plus vite que ça !
Le spectacle valait le coup d’œil : moi, traversant au galop une cour animée. Je me mis au garde-à-vous, malgré ma tenue peu réglementaire.
- Vindieu, où est-ce que tu te crois ?
- C'est un accident, mon adjudant.
- Quel genre d'accident ?
- Dysenterie, mon adjudant. Mon pantalon a été dispensé de combat pendant une attaque.
- Si les Arabes te voient, ils vous tous nous prendre pour des pédales.
Il me conduisit à la station-magasin.
- Trouvez un pantalon à ce nudiste.