" Plus je pensais à notre misère financière et au désintérêt de l'industrie privée, plus je me trouvais finalement persuadé que les finances et les moyens techniques du service de l'armement offraient la seule chance de faire aboutir nos plans pour l'espace.", se justifiera Von Braun.
Jusqu'où se perdit l'homme des fusées dans la toile d'un régime criminel?
" Ce que l'on a eu un jour à l'esprit ne peut plus être retiré."
Friedrich Durrenmatt ( Les physiciens, 1962)
L'Américain d'origine allemande Joachim Joesten, immigré en 1933, y remarquait sarcastiquement : "Si tu aimes l'assassinat collectif, mais que ta peau t'est plus chère, alors devient scientifique ! C'est actuellement le seul moyen d'assassiner sans être condamné (...). Mais si tu es un politicien va-t-en guerre, alors tu n'as, depuis peu, plus ton destin entre les mains : si tu perds, ils te pendent (...). Mais si tu es chercheur, alors que tu sois vainqueur ou vaincu, tu seras couvert de gloire. Tes amis feront n'importe quoi pour toi." Joesten avait la perception d'une situation morale quelque peu douteuse.
Hebdomadaire 'The Nation'
"La science n'a pas de dimension morale. Elle est comme un couteau : qu'on en donne un à un chirurgien et un autre à un assassin et chacun l'utilisera à sa manière."
L'historien britannique Hugh R. Trevor-Roper a comparé un jour le groupe de dirigeants nazis à une bande de 'guignols bouffis d'orgueil' qui ne devint d'une si effroyablement puissante efficacité que parce que des milliers de techniciens, chercheurs, spécialistes et fonctionnaires d'administrations s'étaient comportés de façon neutre."
En 1950, il (Von Braun) décrivit sa situation comme un dilemme :"Les outils que nous construisions dans l'enthousiasme pour une noble cause furent utilisés pour dominer ou asservir d'autres hommes." (...)
Dans les années 1960 finalement, il admit avoir été au courant de bien des évènements à Mittelbau :"Évidemment que ce fut à chaque fois pour moi une impression extrêmement déprimante lorsque je pénétrais dans l'usine souterraine et étais obligé d'y voir les prisonniers travailler. Ces silhouettes affamées pesaient lourd sur l'âme de tout homme convenable".(...)
Kurt Bornträger, également un Peenemundien ,nous a dit à ce sujet dans une interview : "Von Braun a toujours considéré l'utilisation des prisonniers de guerre et des détenus de camps de concentrations comme nécessaire. Car, autrement, toute l'histoire se serait écroulée!"
Werner Von Braun déclara à l'auteur de science-fiction Arthur C. Clarke : "Je n'ai jamais su ce qui se passait dans les camps de concentration. Mais j'ai eu un soupçon à ce sujet et, dans ma position, j'aurais pu le découvrir. Je ne l'ai pas fait et je me méprise moi-même pour ça".
" Je m'en rappelle encore exactement . J'étais au hasard chez Von Braun avec deux ou trois autres collègues alors qu'il venait tout juste de recevoir une lettre de Himmler. Celui-ci proposait un rang subalterne chez les SS, ainsi qu'un uniforme. Von Braun demanda : 'qu'est-ce-que je dois faire maintenant?' Nous nous sommes concertés. Est-il bon de l'accepter ou est-ce mauvais? Je proposais alors : Il n'y a que Dornberger qui puisse décider. Dornberger était aussi un bon diplomate. Il dit : 'Accepter est très mauvais. Mais refuser est encore pire'.(...)
Qui s'y ralliait pouvait aller loin, qui s'y refusait pouvait tomber très bas.
Mauvais investissement.
"Notre projet le plus onéreux était en même temps le plus insensé" confia plus tard l'ancien ministre de l'Armement nazi. (Albert Speer) " Le type d'armement que j'ai favorisé s'avéra être le seul mauvais investissement."
D'une certaine manière même Winston Churchill abonda dans son sens : "Ce fut une chance que les Allemands aient consacré leurs efforts de guerre aux fusées et pas aux bombes".
Qu'est-ce que cela aurait signifié si les milliards n'avaient pas coulé à Peenemünde mais seraient allé forger d'autres armes?