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Citation de enzo92320


(p.128, extrait de « De l'antisémitisme »)

L'antisémitisme est une haine métaphysique de la littérature, de sa puissance à la fois de création et de décomposition subversive du monde. Tout cela est trop abstrait et métaphorique pour être valable ? Pas si sûr. Il y a quelques années, un universitaire écrivit une thèse de lettres modernes afin de démontrer que Lautréamont était un charlatan. Que ses figures de style étaient absurdes, sa logique fantasque, ses trouvailles controuvées, que son génie en somme était une imposture. Nul ne prêta vraiment attention à cette réincarnation crétine de Zoïle, lequel réfutait déjà il y a vingt-quatre siècles, employant à peu près les mêmes arguments (l'inadéquation du style au réel), le fabuleux génie d'Homère. Quelques années plus tard, notre fielleux professeur dénoncera une autre inadéquation au réel: l'existence et la fonction des chambres à gaz, pour en conclure bien évidemment cette fois que ce sont les juifs les imposteurs. Eh oui, cet universitaire n'est nul autre que Robert Faurisson.

L'antisémitisme revêt en permanence la figure de l'inversion paranoïaque, ce que Freud qualifiait de « système philosophique déformé ». La puissance littéraire du judaïsme résidant dans son inouï principe théologique (la Bible précède le monde), la haine qui l'accable fonctionne donc comme une antithéologie, ce qui est très différent d'un racisme ordinaire. L'antisémitisme est proprement une théosophie déformée.

C'est ainsi que l'accusation séculaire de pingrerie faite aux juifs est une inversion de ce fait théologique que la charité, le don et la gratuité sont des concepts fondamentaux du judaïsme. Ainsi du don de la Thora sur le mont Sinaï. Or cette Thora qui s'infuse dans l'ensemble de la Bible, les juifs eux-mêmes en ont fait don aux non-juifs en la diffusant. Ceux-ci sont ainsi en dette vis-à-vis des juifs. Nous sommes leurs débiteurs, disent les antisémites, ils ont une charité d'avance sur nous, ils thésaurisent notre dette, ils possèdent un bien qui nous revient. Traduction théosophique déformée: Ils ont la nuque raide, refusent de se plier à nos lois, ils sont littéralement inconvertibles, leur trésor n'a pas de valeur d'échange calculable, ils sont donc tous abominablement
riches et radins.

Autre exemple de théosophie déformée, l'organisation méthodique de l'extermination des juifs d'Europe, qui prit la forme d'un gigantesque « holocauste » biblique, par un spasme de fureur du réel contre l'étrange symbolisme sacrificiel du Livre. Et la récupération industrielle par les nazis des moindres déchets cadavériques ne revenait qu'à œuvrer contre l'irrécupérabilité idéologique du judaïsme, ce que les théologiens appellent depuis toujours « le reste d'Israël ».

L'inversion la plus fréquente de nos jours n'est cependant pas celle des crétins purs et durs, fascistes et punks divers qui demeurent grâce au ciel fortement minoritaires, mais celle des experts, historiens, sociologues, économistes, idéologues de tout bord que la question de l'antisémitisme fascine manifestement. Ainsi dans Libération du 14 octobre 1993, un historien qui entend démontrer le « recul de l'antisémitisme » et la « permanence de la xénophobie » commence par établir une « observation fort simple », à savoir que les juifs ne sont pas un peuple comme les autres, et que l'antisémitisme vient historiquement « de leur attachement obstiné à leur propre Dieu et de leur refus de ceux des autres ». On retrouve ici, sous couleur d'analyser et bien évidemment de condamner l'antisémitisme, l'un des arguments les plus éculés de la secte antisémite depuis des siècles: les juifs sont persécutés parce qu'ils ne sont pas comme les non-juifs. La seule différence entre l'historien et l'idéologue c'est que l'un prétend expliquer et que l'autre accuse. Mais on en revient toujours à l'idée de fond que si les juifs sont haïs, c'est nécessairement qu'ils sont haïssables.

On a en effet toutes les raisons de se montrer optimiste.
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