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Citations de Stéphane Zagdanski (332)


Soleil sombre.

J’écris ceci un mois d’octobre, sous un soleil radieux.
De mémoire de parisien on n’avait connu automne aussi tiède. Il faut dire que, de mémoire d’homme, on n’avait jamais senti si concrètement sombrer le monde.
Le méphitisme règne, la planète mijote, la banquise s’abrase, les fleuves
impassibles s’exorbitent en mascarets mortifères, les rivières acidifiées s’asphyxient, la famine dévore des peuplades apeurées, des espèces animales s’amenuisent à jamais, les pandémies prolifèrent, les paradis les plus sereins se désagrègent dans l’écrabouillant brasier de guerres locales...
Entretemps, Méphisto assure la prospérité de Dr Pharmacie et M. Armement.

L’homme est pour l’homme un clown sordide, sanguinaire et stupide, et personne ne possède la clé de cette putréfaction mal apprivoisée..

Qui s’en soucie ?
Tout le monde, personne.
Le souci en soi est une idée vieille ensevelie sous des monceaux de fausses nouveautés.

« Plus jamais ça ! » ressassent les hébétés, sans saisir que « ça » ne cesse de se perpétrer chaque jour devant leurs oreilles closes et leurs yeux béats.
Et ça n’est qu’un début. Rien n’arrêtera l’atroce fracas.

Ici, à Paris, tout va pour le mieux dans le pire des mondes. Les terrasses regorgent d’humains frelatés accroupis au creux de leur existence de spectres. N’importe quelle bribe de conversation captée au vol donne la nausée à l’idée d’être le contemporain de tels ilotes. La scène de couples d’amants fixant chacun son portable sans s’adresser un mot est devenue d’une abominable banalité.

Pendant que le globe s’abîme, les imposteurs pérorent leurs analyses de caniveau, profitant de ce que personne ne sait davantage qu’eux lire, écrire, ni penser.

Journaux, magazines, revues, cinéma, radio, télévision, amphithéâtres, fictions, essais... tout est léthargique, galvaudé, fangeux, nécrosé et minablement malfaisant. La pensée s’affaisse, l’imposture prolifère. Mille outres à bobards gigotent en boucle, jamais repues de leur veule vacuité.

Le délire croît. Les couloirs et les rames de métro drainent chaque jour davantage de schizophrènes clochardisés, et ça ne va guère mieux à la surface.

Et pendant que des experts en tartufferie flicardière vous parlent chaque soir à la télé, les squales de la haute-fonction fourbissent en coulisses leurs tactiques électorales...
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« Je commence à penser que le spectacle », écrit Debord à Martos en 1990,
« qui aussi a développé jusqu’à l’hypertrophie tout ce qui tendait à la bassesse
en chaque individu, a plus détruit dans la tête de nos contemporains que dans la ville de Paris ; ce qui n’est pas peu dire. »
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Stéphane Zagdanski
J’ai toujours dissocié l’écriture de la publication. Écrire, raturer, penser, comprendre, imaginer, créer, invoquer, cela n’a lieu qu’au moment où l’on est dans le temps, et à l’écoute du temps. Tant que le phrasé palpite sous la main qui se meut, dans l’écriture, puis la relecture et les centaines de ratures et de modifications apportées au texte, quelque chose de vivant émane de vous, qui n’appartient qu’à vous et que nul ne peut abîmer ni détruire. [RARE, p. 195, Galerie Éric Dupont]

La question qui se pose à moi depuis que j’écris n’est donc pas tant liée à la publication – soit à la diffusion de ce qu’un homme, au fond, possède de plus intime : ses pensées déployées en mots – qu’à la méditation de ce qui m’arrive depuis ma naissance. Et ce qui m’arrive depuis ma naissance, et d’ailleurs depuis bien avant elle (que mes parents aient survécu à une tentative de génocide n’est pas anodin), c’est le monde. Écrire, pour moi, depuis toujours, c’est apprendre à « lire » le monde, non pour m’y insérer et y trouver ma place, mais pour mieux le combattre – au sens kafkaïen du combat
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Talmoud balbi , yadaim ,
Talmud de Babylone , traité Yadaim ( les mains ),
"Tous les écrits saints rendent les mains impures .... Leur impureté est à la mesure de l'amour que nous leur portons "
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La transparence des informations – dont se rengorgent tant de niais payés pour feindre de se réjouir de leur ersatz d’opinion démocratique –, est une vitrine où scintillent à tour de rôle des faits-divers dont nul n’a la clé, extirpés d’un stock d’« affaires » auquel personne n’a accès.
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La chose m'est apparue quand j'avais neuf ans. (...)Taraudée pazr le souvenir de notre bébé martyr Cordelia, ma mère ne savait me proférer sa tendresse que sous la forme d'avertissements tourmentés : 'Tu vas prendre froid à sortir dans écharpe...', 'Mets donc une casquette ou tu attraperas une insolation...', 'Tu finiras par te briser les vertèbres avec ton skateboard...', 'Cesse de lire sous les draps avec une lampe de poche, tu vas t'user les yeux...'. A son insu, par l'acrimonieuse affection dont elle me criblait, à force d'inlassables appréhensions délétères, ma mère me ravageait. Ses préventions nerveuses du pire me lacéraient l'âme. J'étouffais dans cette atmosphère raréfiée par l'angoisse, je dépérissais dans cet environnement de ronces mentales. (...) Je finis par me convaincre que le mieux à faire, pour la soulager était encore d'accomplir une de ses insatiables prophéties de crécelle. (...) Bientôt je n'eux plus qu'une préoccupation : par quel biais sacrifier ma santé florissante de gamin hyperactif aux craintes masochistes de ma mère ? Le suicide, issue trop évidente, n'en était pas une pour moi puisque j'aurais délaissé ma mère et définitivement empêché le transvasement de sa douleur. Ce qu'il fallait, c'était prendre sur moi l'immonde péché de mon père, fracasser ma santé en mille morceaux sans en mourir, afin que le vase maternel se récure enfin de sa torture, que son coeur brisé dans un sourire contemple, apaisé, mon irréparable déconstruction...(...) C'est à cette époque que je commençai à maigrir immodérément.
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Stéphane Zagdanski
La littérature est donc indépassable puisque elle s’active dans un présent
perpétuellement mobile (au contraire du très figé «présent perpétuel de la
«société du spectacle»), un «présent intégral» écrit Sollers dans Le Secret, qu’il
résume en une belle formule heideggérienne qui est comme la maxime d’une
saison au paradis: «Je suis été.»
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Stéphane Zagdanski
Bien entendu l’enseignement majeur de Bataille reste celui de l’expérience
intérieure, soit de l’«émotion méditée» selon sa définition. Émotion, méditation.
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Stéphane Zagdanski
Bien entendu l’enseignement majeur de Bataille reste celui de l’expérience
intérieure, soit de l’«émotion méditée» selon sa définition. Émotion, méditation.
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Comme le manifeste assez nettement la Russie de Poutine – mais cela est
vrai partout ailleurs –, la mafia est intimement entrelacée à l’État moderne, tous deux prospérant sur la base spectaculaire commune du secret : « Le spectacle sert beaucoup plus à cacher qu’à montrer », écrit Debord à Floriana Lebovici le 25 mars 1986.
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Institué par l’économie et l’industrie contemporaines devenues hors de contrôle, le nouveau totalitarisme spectaculaire a ceci d’inédit qu’il entraîne dans sa rapide et inexorable chute le vivant avec lui.
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(p.25)

Jamais entendu prononcer au lycée les noms de Proust, Céline, Nabokov, Borges, Hemingway, Faulkner, Claudel, Artaud, Genet ou Bataille, mais dû me coltiner les insipides Mains sales, L'Étranger pâlichon, la fuligineuse Bête humaine, le puéril Des souris et des hommes, l'évanescent En attendant Godot, la dérisoire Cantatrice chauve, et la monocorde Modification de Butor que je commente haut la main le jour du bac.

NB : fuligineux : Qui rappelle la suie, ou en dégage ; qui en a la couleur.
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(p.36) À une poétesse féministe hystérique.

« Chère Nadine Volt,

Quelle fureur ! Je suis fortement impressionné par votre énergie inébranlable pour défendre la cause des femmes. Je crains hélas que vous n'interprétiez parfois un peu à faux certaines déclarations. Par exemple, la phrase de Lacan: "La Femme n'existe pas" ne signifie pas que la femme est un être de néant méprisable et négligeable, mais qu'il n'y a pas une catégorie globale "Femme" qui résumerait toutes les femmes du monde, et qui interdirait à chacune d'entre elles de se distinguer et de s'individualiser. On pourrait aussi bien dire en ce sens: "L'Homme n'existe pas". Cela veut dire que l'humain, femme comme homme, échappe aux classifications zoologiques. Quant à l'"illusion" et à la "buée" qu'est la femme, il s'agit de l'image publicitaire figée que la société se fait du féminin, ce que déjà Ronsard disait, la beauté n'est qu'apparence fugace et disparaît avec le temps. Reste l'essentiel, c'est-à-dire l'esprit, dont vous êtes, Madame, une parfaite représentante. »
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Se rend [De Gaulle] compte des énormités qu’il sort régulièrement ? Pas sûr. [ ]
Il est probablement de bonne foi quand, en avril 1963, [ ] lors d’un voyage officiel dans les Ardennes, recevant un buste de Rimbaud à Charleville et un autre de Verlaine à Rethel, il affirme qu’il les réunira sur sa cheminée et conclut : ‘Il y a un bon Dieu pour les pédérastes’. De Gaulle en divinité bienfaitrice du PACS, on aura décidément tout entendu.
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Stéphane Zagdanski
Un saut qualitatif s’opère entre la mère et le fils, comme la passation d’une
hostie de rire et de ruse qui viendrait scinder le cercle des générations et le
métamorphoser en spirale, à l’imitation de la naissance du Christ, «père et fils de
sa propre mère», dans le but de mettre la mort à mort. Entre deux séances
incestueuses, le cercueil du père apparaît comme un scaphandre de vie:
«attention vous allez lui faire mal» dit la mère aux hommes qui sortent le
cercueil de la chambre.
P 47
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Stéphane Zagdanski
La première référence est théologique: «L’enfer, saisi, est une porte vers le
paradis.» écrit Sollers dans Studio. Dans Paradis, une série de séquences
nettement incestueuses entre un fils et sa mère s’insère à l’intérieur d’un «film»
reprenant, non chronologiquement – l’inceste fait sortir le temps de ses gonds –
diverses scènes de la vie du narrateur: «il a dix ans on le voit arriver sur sa mère
allongée l’embrasser dans le cou puis chercher sa bouche tenir longuement sa
bouche sur sa bouche» Suit une séquence sur le cercueil du père, puis sur le rire
de la mère, puis: «même salle de bains garçon nu même bidet mère éponge
inondée tête aux pieds transition baptême du christ filius meus nevrosus».
p 47
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Stéphane Zagdanski
Puisqu’il y a deux sortes de contrats, il y a deux sortes de doublures, aussi
différentes l’une de l’autre que le clonage l’est de la citation.
L’art de Sollers, dont on va bientôt voir ce qu’il doit à la pensée chinoise,
consiste à accentuer la division pour scinder le monolithisme mortifère de la
multiplication, laquelle n’est qu’un artifice en vue d’une imparable unification.
Le programme de la procréation universelle tourne en boucle. Les diverses
technique contemporaines artificielles de fécondation (d’où la jouissance
sexuelle est par définition absente) et de procréation (promotion commerciale
d’un eugénisme non dissimulé) accentuent d’une manière radicale
l’automatisme spectaculaire de la mort.
Au contraire, l’inceste fictif, heureux, dédramatisé, innocenté en somme,
crée son autonomie secrète pour contrer cet automatisme de plus en plus
mécanisé de production capitaliste du vivant.
p 46
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Stéphane Zagdanski
Studio décrit l’expérience intérieure de la mort «pas du tout morbide», la
présence d’outre-tombe d’un écrivain36. Cette mort calme et discrète, cette dissipation studieuse se distingue de la disparition violente et mystérieuse d’un
autre ami du narrateur, Jean, assassiné à Zurich. La mort «pas du tout morbide»
est le résultat d’une longue guerre (elle commence dans l’enfance du narrateur)
contre toutes les mauvaises voix. C’est une grâce, certes, qui s’attache à un
corps plutôt qu’à un autre, mais une grâce qui n’a jamais été de tout repos.

36 «En traversant la cour silencieuse, en ouvrant la porte du studio, j’ai eu une
sensation de grande étrangeté. Tout était en ordre, en attente, personne n’était venu, mais
c’était comme si je n’avais pas bougé, comme si j’étais resté assis devant mon bureau
pendant mon absence: un autre volume. Je me suis vu distinctement du dehors, penché en
train d’écrire, je pouvais déchiffrer de loin, non pas les lettres ou les lignes, mais l’intention
globale, la somme aérienne des mots, A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles.»
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Stéphane Zagdanski
Sollersreprend et résout ici d’une façon originale le «problème» (le mot est
de lui) qu’il posait trente-deux ans auparavant, dès le début de Drame, où un
rêve du narrateur le fait se confronter à sa propre mort.
34

34 «Il est en même temps étendu, mort, à la place que je viens d’indiquer, – et comme
dans une image projetée – légèrement au-dessus de lui-même.»
Le jeu consiste en ce que le second personnage (vivant et imaginaire) tourmente le cadavre réel.

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Stéphane Zagdanski
La constatation n’est pas neuve chez Sollers. Drame est le récit d’un corps
échappant au magnétisme maximal de la Mort par la seule force des mots. Un
Événement, court récit récent
31, reprend le thème du corps qui traverse
magiquement un certain point-mort de l’espace et du temps pour se retrouver en
Chine. Le narrateur songe au départ à se suicider, et même à assassiner son
logeur abject, puis renonce à son projet macabre pour la raison que «la mort
n’est pas égalitaire, malgré ce qu’on dit».
Studio est précisément une méditation sur les différentes sortes de mort.
Rimbaud et Hölderlin, les deux atlantes du roman, l’énoncent chacun de manière
très nette. «Je suis réellement d’outre-tombe», dit Rimbaud. Et Hölderlin: «La
mort est une vie et la vie aussi est une mort.»


31 Il s’agit d’une prépublication des premières pages de Passion fixe.
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