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Critiques de Stephen Bouquin (7)
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La commune du Rojava

La préface de ce livre est de Michael Löwy et il explique : L'opinion occidentale a pris connaissance de l’existence du Rojava en 2014 lors de la bataille de kobané , quand les combattantes et combattants des YPG et YPJ ont réussi ce que l'armée du dictateur Assad ou celle du gouvernement irakien , avec leurs soutiens russes ou américains n'ont pas pu : infliger une défaite politique et militaire à Daesch . Les photos des miliciennes kurdes fusil au poing , dans la première ligne de combat contre le fascisme " islamiste " , ont fait le tour du monde , révélant à des lecteurs surpris et étonnés une expérience singulière : LE ROJAVA LIBERTAIRE .

Pour ceux que ce sujet intéresserait , le texte intégral de cette préface est en libre disposition sur le blog de Michael Löwy et est paru sur le site de MEDIAPART le 8 juillet 2017 .
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La commune du Rojava

Le Rojava libertaire tente de rassembler, par une auto-organisation communautaire d’en bas, les populations kurdes, arabes, assyriennes, yézédies, dans une confédération laïque, au-delà du sectarisme religieux et des haines nationalistes; de mettre l’écologie et le féminisme au cœur d’un projet anti-nationaliste, antipatriarcal et anti-étatique; d’impulser l’égalité entre hommes et femmes par la coprésidence de toutes les instances, et la création d’une force armée composée de femmes; d’inventer une forme de pouvoir politique démocratique décentralisé, basé sur les assemblée communales, au-delà de l’État : le confédéralisme démocratique.

(...)

Comme on peut le voir, la révolution kurde dépasse largement la question nationaliste. Le paradigme qu’elle propose pourrait contaminer le Moyen-Orient et bien au-delà, à condition de l’entendre. Cet ouvrage contribue à en faire comprendre les enjeux. À l’instar des zapatistes du Chiapas il y a 20 ans, les kurdes nous tendent une perche.



Article (très) complet en suivant le lien.
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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La commune du Rojava

Une démocratie sans actions est comme un être humain sans voix



Dans sa préface « Le Kurdistan libertaire nous concerne ! », Michael Löwy souligne, entre autres, le rassemblement « par une auto-organisation communautaire d’en bas, les populations kurdes, arabes, assyriennes, yézidies, dans une confédération laïque, au-delà du sectarisme religieux et des haines nationalistes », la place de l’écologie et du féminisme dans un « projet anticapitaliste, antipatriarcal et anti-étatiste », la place des femmes y compris dans la force armée, l’invention d’une nouvelle « forme de pouvoir politique démocratique décentralisé, basé sur les assemblées communales », le « confédéralisme démocratique »…



Il explique pourquoi ce combat du Rojava nous concerne et indique que « notre soutien doit être solidaire, mais pas acritique… », parle des écrits du libertaire nord-américain Murray Bookchin (J’indique ici que je ne connais pas ces écrits).



Michael Löwy interroge : « comment passer de cet échelon local à la gestion démocratique d’une région ou d’un pays (qui ne peut pas être une simple « coordination » entre localités) ? ». Loin des solutions étatiques dominants tout à la fois les mouvements nationalistes que les forces de la gauche révolutionnaire, le préfacier met « en évidence la contribution positive du mouvement de libération kurde au renouveau de la pensée et de l’action émancipatrices » mais souligne aussi un certain silence sur les difficultés, les contradictions ou les limites des expériences, la place de l’écologie dans le projet du Rojava, ou sur le rôle du pluralisme politique dans le confédéralisme démocratique. Je reviendrai plus loin sur certains points.



Dans leur introduction, « Le changement par en bas »,Stephen Bouquin, Mireille Court et Chris Den Hond mettent l’accent, entre autres, sur le projet politique porté par le mouvement kurde ne consistant « nullement à faire sécession afin de fonder un « Kurdistan indépendant » », le refus d’une entité politique « fondée sur une mono-identité ethnoculturelle », les références à la Commune de Paris, le rôle du Parti démocratique des peuples (HDP), le régime répressif de Recep Tayyip Erdoğan, les nouvelle orientations du PKK, « Contre les chauvinismes turc, arabe et perse, l’alternative ne pouvait consister à construire un nationalisme kurde tout aussi chauvin ».



Les textes sont regroupés en cinq parties, Le Rojava et le nouveau paradigme du mouvement kurde, La parole aux militants kurdes, La théorie mise en pratique, Les femmes au centre de la lutte, Un autre monde est possible.



Je ne présente que certaines analyses et en discute particulièrement un point.



Le Rojava, les Kurdes syriens, la guerre, les réfugié-e-s, l’hostilité du gouvernement régional kurde du nord de l’Irak, la politique turque d’embargo, le régime d’Assad, les attaques de l’Etat islamique, Abdullah Ocalan, les milices mixtes et les milices exclusivement féminines, le peuplement (kurde, arabe, chrétien assyrien, turkmène, arménien ou circassiens) et les choix politiques d’inclusion, « Les Kurdes ont toujours refusé de prendre des villes non Kurdes à l’Etat islamique s’il n’y avait pas une alliance solide avec les forces politiques de la région, donc des forces arabes par exemple dans la région de Raqqa », la bataille pour une « Syrie démocratique, laïque et fédérée », les affrontements avec l’Etat islamique, Kobané, le besoin d’armes anti-chars…



Le confédéralisme démocratique, le pouvoir des assemblées, l’Etat-nation, les sociétés comme « essentiellement politiques », l’auto-administration, les principaux instruments de participation et d’expression sociale, l’auto-défense, les éléments transfrontaliers, la démocratie directe, le socialisme, « Le socialisme requiert des instruments socialistes : la démocratie totale à tous les niveaux et l’intégration de la lutte écologique, celle des femmes, la lutte pour les doits de l’homme et des mécanismes d’autodéfense de la société », la notion d’égalité, un modèle de congrès, des organisations spécifiques, les coopératives, la révocation des élu-e-s, les institutions légales et permanentes pour la délibération et la prise de décision… Ces éléments sont traités dans différents textes.



Reste que si la commune et sa décentralisation démocratique offre un cadre possible à l’auto-organisation locale, le socialisme ne peut être pensé comme un amalgame horizontal (ni d’ailleurs comme une pyramide verticale ou une confédération de petites entités). Je ne vois pas comment il serait possible d’instaurer « un contrôle collectif des moyens de production socialisés importants » à cette échelle. Les sociétés ne sont pas des échafaudages composées de briques de base. Il faut à la fois penser le tout (au niveau mondial, continental, sous-continental, régional, etc., sans oublier les dimensions transversales aux découpages géographiques) et les parties, leurs articulations, les institutions permettant les meilleures représentativités… Sans oublier la gestion des contradictions internes à chaque niveau et entre niveaux. Et de ce point de vue, seul le suffrage vraiment universel, et ses déclinaisons à chaque domaine ou territoire, offre une piste d’égalité dans l’auto-gouvernement généralisé. Et qui dit suffrage universel, dit aussi pluripartisme et multiplication des formes d’auto-organisation, dit aussi probablement différentes « chambres » de représentation, la gestion publique des disputes démocratiques et des intérêts contradictoires qui ne se dissoudront pas dans les pratiques, communales ou non, par la démocratie directe ou représentative. Sans oublier que l’épaisseur propre du politique (de l’organisation citoyenne) n’est ni réductible au social (dans ses multiples dimensions) ou à une autre définition. Les êtres humains ne sont pas et ne seront pas seulement des producteurs et des productrices associé-e-s, au moins à l’horizon de pensable. Il convient donc de discuter à la fois de cela et des tensions générées par le double « statut » de producteur/productrice et de citoyen-ne. Les propositions présentées dans ce livre sont de ce point de vue à prendre en compte, comme les débats sur la double chambre de la Pologne de Solidarnosc, la place des élections générales dans le Nicaragua du FSLN, les expériences zapatistes, par exemple.



Les réflexions proposées autour d’alternatives à l’Etat-nation sont indispensables. Quelques pistes semblent tracées, comme en pointillés. Mais ici encore, le « confédéralisme démocratique » ne peut être celui de petites entités communales, L’autonomie culturelle et la démocratie directe revendiquée nécessitent des institutions adéquates – territoriale ou non – à tous les niveaux des sociétés. (En complément possible : Avant-propos à la réédition de l’ouvrage d’Otto Bauer : La question des nationalités à paraître prochainement sur le blog).



De multiples informations sont aussi présentes sur les liens historiques et sociaux existant entre les peuples du Moyen-Orient, le dépeçage de l’empire ottoman et la partition des territoires en Etats nationaux, la négation des réalités des minorités, l’usages et l’interdictions des langues ou de pratiques religieuses, la confessionnalisation institutionnelle, les confiscations autoritaires des pouvoirs, la société « politisée, réflexive, consciente et active »…



Je souligne la partie sur les femmes, leur place sociale entre « traditions » et auto-émancipation, entre assignation – religieuse ou non – et auto-gouvernance, les femmes armées et les unités féminines de défense, les organisations de femmes et leur droit de veto à l’égard de décisions, les liens entre les différentes formes d’oppression et les principes d’organisation hégémonique des cadres étatiques, « Il est très important que les femmes disposent de leurs propres temps et lieu pour travailler, pour se réunir, pour lutter », la politisation de la société au plan global « espace public et privé », la dégradation de l’être humain au rang de propriété d’autrui, le sexisme, la culture du viol, « Aucune société ne peut parvenir à une véritable liberté sans se confronter au fait historique et sociétal. Dans la civilisation actuelle, la question des femmes est au cœur de tous les problèmes sociaux »



Un ouvrage pour nourrir les échanges, développer des actions de solidarités, fournir des inspirations à d’autres mobilisation,s même si comme l’écrivent Stephen Bouquin, Mireille Court et Chris Den Hond « Nous aurions aimé rassembler davantage d’informations sur l’expérience d’autogouvernement, sur l’acquisition d’une condition égalitaire pour les femmes et sur la réalité d’une administration « post-nationale » ».
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Résistances au travail

Jamais inexistantes, quoiqu’en disent ceux qui pensent le monde, et en particulier le monde salarial, les résistances au travail reconstruisent en permanence des espaces d’autonomie et nourrissent l’action collective. La visibilité des résistances est en enjeu propre de la lutte de classe. Ce livre collectif rompt avec une certaine désillusion. Il traite tout autant des perspectives théoriques et historiques que des réalités contemporaines.



J’insisterais plus particulièrement sur le texte de Stephen Bouquin qui offre des analyses approfondies de la relation travail, ancrées dans une compréhension élargie du fonctionnement du système capitaliste. « La plupart des analystes traitent de la domination au travail et nullement de la domination du travail, ou plus particulièrement du travail abstrait comme le proposait Jean Marie Vincent ». Il importe de prendre en compte la cohérence globale des dominations et non de les juxtaposer en dominations économiques, symboliques ou politiques, ce qui nécessite de faire un détour théorique sur la domination du travail abstrait « Le travail abstrait renvoie à une logique sociale d’efficience quantifiable qui forme système avec la nature marchande du travail qui enveloppe le travail concret pour à la fois le soumettre et le rendre interchangeable. Le travail abstrait ne fait pas référence à des abstractions intellectuelle mais au caractère social, général du travail. »



Pour approfondir, « Critique du travail, le faire et l’agir » (Jean Marie Vincent, PUF 1987)



Les relations sociales, les relations au travail sont en permanence reconfigurées et ne peuvent être abordées qu’en abandonnant les visions statiques « Ne pas traiter du travail salarié comme une condition sociale moniste (serfs, esclaves avec des rapports dominant-dominés de codépendance) mais plutôt comme une relation dynamique où le contre-pouvoir déplace et modifie le pouvoir car les résistances déjouent et modifient la situation provisoirement ce qui interdit tout retour au statu quo ante »



L’auteur aborde aussi la subjectivité sans vision naturaliste « le rapport expressif au travail (épanouissement, bonheur, plaisir) n’est pas soluble dans le rapport instrumental (source de revenu) »et les résistances, en les mettant en relation avec les process de travail (y compris les actions du management) « les résistances au travail se situent sur un continuum de positions comprenant également les ajustements et détournements et il n’y a pas forcément de frontière étanche entre les modes de conduites qui peuvent tout à la fois alterner et coexister. »



S. Bouquin insiste sur les relations entre actions individuelles et résistances collectives « ne pas reconnaître la possibilité d’une résistance micro sociale, c’est aussi refuser de voir d’où proviennent les actions collectives et s’interdire de comprendre les transformations du process de travail. »



Cette première partie théorique est complétée par une analyse de Paul Steward sur « Le mythe de la fin du collectivisme. La montée de l’individualisme et la mort du travailleur collectif dans la sociologie britannique ». L’auteur y explique qu’il existe toujours des formes de collectivisme (collectifs de travail dans la terminologie de sociologues français) comme produits de l’organisation et de la rationalisation de la production (lean production) et des attaques néo-libérales. « Les stratégies individualisantes ne peuvent être séparées des tensions contraires qui éloignent le travail de la rationalité économique jusqu’à parfois exprimer une antipathie à l’égard du capital. Et les tensions découlent d’un process de travail qui cherche à la fois à fragmenter et à unifier le travail. »



Je partage l’approche consistant à définir « la domination au travail dans cette société comme étant centrale dans les relations constitutives du capitalisme » plutôt que « de rendre compte des rapports sociaux capitalistes du point de vue du sujet ».



La seconde partie de l’ouvrage présentent trois analyses historiques. Bruno Scacciatelli évoque Les sublimes et l’autonomie ouvrière (Le sublime est un ouvrier de métier hautement qualifié, figure centrale du livre de Denis Poulot paru en 1870).



Mélanie Roussel décrit la domination dans l’industrie textile du début du 20 ème siècle et souligne qu’observer les conduites rétives au despotisme du temps de l’usine « implique d’articuler le travail avec le hors travail car les réponses défensives ou de réappropriation s’exprimaient également dans le temps libre, dans le temps encore non colonisé par la rationalité instrumentale d’efficience »



Pascal Depoorter à travers l’exemple de l’usine Chausson de Creil analyse le rapport au travail « entre implication et résistance », tout en décrivant les luttes contre la déqualification, il donne à voir un cas particulier d’expression d’autonomie ouvrière (des fresques peintes dans l’usine « qui offrent au public une vision du monde qui affirme l’irréductibilité de l’homme à sa force de travail, au statut de marchandise »).



Les analyses de « réalités contemporaines » dans la dernière partie du livre sont particulièrement riches :



* démantèlement de l’autonomie responsable dans l’industrie nucléaire (José Caldéron) ;

* résistances collectives autour de l’analyse d’une pratique syndicale dans un atelier de maintenance du secteur aérien (louis-Marie Barnier)

* pratiques développées par des intérimaires (Isabelle Farcy) ;

* résistances au travail et rapports sociaux de sexe : des femmes de chambres et des veilleurs de nuit du secteur hôtelier (Emmanuelle Lada) ;

* voies de résistance au sein d’une famille sénégalaise (Thomas Rothé) ;

* sabotages en entreprise (Djordje Kuzmanovic).

S’appuyant sur les travaux de Bernard Friot (au moins sur le projet de salaire universel, non contradictoire avec le projet d’abolition du salariat. La discussion sur ce sujet mériterait d’être reprise et approfondie) et renouant avec les projets d’émancipation radicale, Stephen Bouquin conclut : « Le projet d’un salaire entièrement socialisé permet alors de faire converger la bataille pour l’abolition du chômage avec celle pour la transformation du travail afin qu’elle devienne mouvement conduisant à l’avènement de l’égaliberté (pour utiliser l’expression d’Étienne Balibar) et l’extinction du royaume de la contrainte. »



Sur les positions de Bernard Friot : « Puissances du salariat, emploi et protection sociale à la française » et « Et la cotisation sociale créera l’emploi » (La Dispute 1998 et 1999).



Par ce qu’elles n’occultent ni les dominations ni les résistances, ces analyses me semblent plus porteuses de sens que les descriptions des seules souffrances au travail. Les capacités de résistance individuelles et collectives, peuvent être émoussées par la précarisation, le chômage, mais derrière les réalités des rapports de force il convient d’« envisager le travail comme irréductible à toute pacification sociale définitive » et « la subjectivité comme consubstantielle à la relation de travail. » Sans oublier que les individu-e-s sont soumis « à des expériences frustrantes, qu’ils perçoivent que le travail ne peut satisfaire les attentes de bonheur placées en lui, la nouvelle mystique du travail s’épuise. C’est pourquoi la valeur travail n’est plus et ne saurait plus représenter la ligne de résistance sur laquelle se construit l’action collective, d’autant qu’elle constituait une culture ouvrière (masculine) aujourd’hui en crise. » Pour se développer le mouvement syndical et les alternatives politiques ne pourront faire l’économie d’une réflexion élargie sur ces sujets.
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Revendiquer et s'organiser ! : Représentativi..

Écrit par un collectif de syndicalistes et de chercheurs (sans femme !), la dernière note de la Fondation Copernic permet faire le point sur les possibles et nécessaires débats autour de la représentativité syndicale du point de vue des salarié-e-s.



Les auteurs aborderont successivement le droit de s’organiser, la négociation et la représentativité syndicale, les grands enjeux de la représentativité et un éventail de propositions. En annexe, la FSU, l’Union syndicale Solidaires et de la CGT développent leurs propres positions.



Prendre pour point de départ les droits des salarié-e-s permet de poser l’ensemble des problèmes d’organisation (y compris celui des salarié-e-s des sous-traitants ou des très petites entreprises), de représentation interprofessionnelle et de négociation déléguée.



La liberté de choisir son syndicat doit être totalement libre et les privilèges des cinq « grandes centrales » doivent être abolis. Cela ne règle cependant ni le problème de l’unité nécessaire (voire de l’unification syndicale) ni les niveaux de représentativité les plus en adéquation avec les besoins des collectifs de salarié-e-s, ni comment remettre les négociations sous contrôle ou mandatement ; sans parler de l’indépendance des organisations syndicales vis à vis des financements publics ou des politiques patronales ou étatiques.



De ce point de vue comment ne pas trouver étrange, comme les auteurs de ce petit livre, que la représentativité syndicale ait pu être négociée avec le patronat.



Une note permettant de réfléchir et de trouver, au delà des divergences, des terrains communs pour élaborer pour un syndicalisme revendicatif et représentatif nécessaire à la démocratie sociale.
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Les Mondes du Travail n. 12. Dossier

Un état instable présenté comme norme



La crise est souvent pensée du point de vue de l’économie, plus rarement sous l’angle du travail et des actions collectives. Ce numéro de la revue « Les Mondes du Travail » nous propose des analyses au cœur des processus de production. « La crise vient retravailler les rapports de force entre les acteurs sociaux tout en faisant émerger de nouveaux acteurs qui viennent questionner les organisations traditionnelles et conduisent dans certains cas à des prises de positions assez inédites ».



La « crise » est utilisée par le patronat pour renouveler l’appareil productif dans le cadre d’une nouvelle division internationale du travail et « accélérer le processus de détérioration des conditions de travail et d’emploi » sous prétexte d’améliorer la compétitivité des entreprises. Les discours, tels des mantras, visent « à enjoindre les salariés à faire l’effort de s’adapter aux »contraintes de la mondialisation financière » ». L’instabilité permanente, comme « aiguillon de l’économie » se combine à la banalisation de « l’idée de la crise comme un état normal du vécu contemporain du travail »



Le dossier « Travail et action collective en temps de crise » est divisé en trois parties : la première sur des analyses sectorielles industrielles ou sociales (automobile, chantiers navals, cadres-ingénieurs-techniciens, aéroport), la seconde sur trois pays (Grèce, Espagne, Allemagne), Stéphen Bouquin proposant en « conclusion » une analyse plus globale des réformes du marché du travail.



Dans l’automobile, les suppressions d’emplois chez les constructeurs, souvent réalisés sous forme de « départs volontaires négociés », se conjuguent aux licenciements et aux fermetures d’usines chez les équipementiers et autres fournisseurs. René Mathieu et Armelle Gorgeu analysent la détérioration des conditions de travail en lien avec les transformations de l’organisation ayant « comme principal objectif de supprimer des postes ». Les auteur-e-s soulignent les liens « entre la lean production, l’intensification du travail et les risques pour la santé des salariés », le retour de l’organisation taylorienne entraînant la répétitivité des gestes, une division des tâches plus importante, la remise en cause de la polyvalence au profit de la polyactivité, etc.



Dans cette filière industrielle, la récession « a accéléré un mouvement amorcé depuis plusieurs années de réorganisations de la production et de standardisation du mode opératoire dont l’objectif est de réduire les coûts et d’augmenter la productivité du travail ».



Sur les chantiers navals, les « transformations conduisent à l’éclatement des statuts professionnels et reconfigurent le travail ouvrier ». Pauline Seiller analyse les relations entre salariés en contrat à durée indéterminé (CDI) et travailleurs extérieurs, les effets de la sous-traitance sur les relations de travail, les mécanismes de « dévalorisation réciproque » entre « nationaux » et « étrangers », entre ouvriers « Chantiers » et ouvriers sous-traitants, les conflits et les coopérations, le racisme. L’auteure indique que « le travail des organisations syndicales, qui vise à obtenir un statut unique pour tous les ouvriers du site, est donc remis en cause par une frange d’ouvriers stables » et pose la question du comment parvenir à une unification du monde ouvrier traversé de tensions et de dévalorisation.



Mélanie Guyonvarch et Gaëtan Flocco ont enquêté parmi les cadres, ingénieurs et techniciens. Leur article montre que « les déstabilisations du monde du travail et de l’emploi n’ont pas attendu l’effondrement des places financières mondiales pour se déployer avec force et parfois violence ». Les auteur-e-s analysent comment « la rhétorique de la crise permanente » s’incarne « dans les pratiques des entreprises et les discours managériaux », et les effets produits « auprès des salariés qualifiés de grandes entreprises ». Elle et il traitent donc des fusions-acquisitions, de la contrainte actionnariale redoublant celle de la concurrence internationale, de la contractualisation interne et de la sous-traitance, de la prépondérance accordée au client, etc. et indiquent que les restructurations « peuvent être qualifiées d’offensives ».



Contre la naturalisation des processus sociaux, ici des licenciements, les auteur-e-s soulignent « la déconstruction de ces argumentaires et l’analyse des justifications énoncées montrent qu’il n’y a pas de caractère inévitable pour légitimer les licenciements, mais que des choix de gestion en sont à l’origine » ou « Partant, ces licenciements ne peuvent être considérés comme des dysfonctionnements ponctuels, mais représentent au contraire une conséquence »normale » du fonctionnement économique global dans lequel s’insèrent ces grands groupes ».



Pour les salarié-e-s cadres, les nouvelles normes présentées « comme sources potentielles d’épanouissement personnel » dans un « climat général de guerre économique » où prédominent la « dimension énigmatique des processus économiques et financiers », le « sentiment d’impuissance », le « caractère inéluctable des stratégies d’entreprise », la naturalisation des évolutions, se traduisent par une « adhésion sans attache », des arrangements individuels et « finalement fragiles et provisoires »



J’ai particulièrement été intéressé par l’article sur les luttes ouvrières à l’aéroport de Genève, les impacts de l’externalisation des activités. « Ainsi, dans un même avion travaillent des salariées situées aux deux extrémités de la pyramide sociale : il y a, d’une part, des pilotes majoritairement de sexe masculin et d’origine européenne ; et, d’autre part, des nettoyeuses immigrées de sexe féminin ». Nicola Cianferoni souligne les précarités (économiques, temporelles et projectionnelles), la dimension sexuée et les temporalités des luttes, ou les manifestations de solidarité dans un pays ou les grèves sont rares et le droit de grève très encadré.



Les trois articles sur les syndicats grecs, le syndicalisme en Espagne et les syndicalistes allemands de l’IG Metall montrent les effets des orientations politiques néolibérales en Europe, analysent les pratiques et positionnements syndicaux et les différentes mobilisations sociales.



Ces mobilisations en Grèce et en Espagne, au delà des difficultés liées en partie à la violence des politiques gouvernementales et aux politiques passées et présentes des organisations syndicales, n’en montrent pas moins des expériences riches d’enseignement dans la recherche d’alternatives politico-sociales autour du refus de la politique de l’Europe et du FMI.



Ces articles pourraient être complétés par les textes d’associations remettant en cause la dette illégitime ou sur les expériences de reprise de certaines entreprises sous « contrôle ouvrier » ou en autogestion.



L’article sur l’Allemagne fait ressortir la profonde division entre salarié-e-s stables et intérimaires et la difficulté à agir collectivement contre cet « objet insaisissable » : la crise, dans le pays le plus développé et le plus riche d’Europe.



Stéphen Bouquin synthétise dans « Quand les réformes du marché du travail favorisent l’insécurité socio-professionnelle » un état des lieux après la crise financière de 2008, dont le sous-emploi et le creusement des inégalités. Il interroge la vision néoclassique, ultra-libérale du travail et la conception de la crise comme « opportunité à saisir ». Il s’agit pour les États et les directions des entreprises d’augmenter « l’insécurité socio-professionnelle », de réduire la masse salariale définie uniquement comme un coût, de remarchandiser l’emploi et de développer le management par la peur.



L’auteur conclut : « S’il est encore trop tôt pour analyser de manière globale les attitudes des salariés, les premières enquêtes permettent de formuler l’hypothèse que la loyauté et l’implication dans le travail seront rudement mis à l’épreuve ».
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La valse des écrous

Les voitures encombrent les villes, les routes et nos têtes « ne pas oublier la puissante féerie marchande», la concurrence fait rage entre les quelques groupes automobiles cherchant à préserver ou accroître leurs parts sur les marchés locaux et mondiaux.



Le livre de Stephen Bouquin n’est pas une étude de plus sur les restructurations industrielles ou de sociologie du travail ouvrier. Il inscrit les transformations du travail dans l’atelier en relation avec la dynamique d’accumulation du capital. « On ne peut traiter des relations de travail et de leur transformation sans prendre en compte la dynamique d’accumulation du capital. » sans cependant oublier que « Les interrelations entre les transformations du travail, l’accumulation du capital et l’action collective se construisent selon des temporalités différentes. »



L’auteur va appréhender la conflictualité sociale « non comme un épiphénomène mais, au contraire, comme une dimension structurellement présente, même si l’une de ses manifestations telle que la grève peut faire défaut pendant tout un temps ». et lui attribue « un rôle structurant, cette approche a le mérite de ne pas se limiter à une interprétation managériale de la réalité sociale qui considère les conflits sociaux comme preuve de la perte de cohérence du modèle productif. »



Une double contingence pèse sur les groupes automobiles «la nécessité de maîtriser tant que faire ce peut le facteur travail humain d’une part, affronter à des degrés variables une concurrence intercapitaliste d’autre part. »



Le livre est découpé en trois parties : les modèles d’analyse de l’industrie automobile, rationalisation et conflits et études de cas.



Dans des études détaillées de RVI Blainville et Volkswagen Bruxelles, S. Bouquin mobilise plusieurs niveaux d’analyses (historique, économique, sociologique). Il n’est pas possible de résumer la riche documentation d’autant que l’auteur revient sur l’introduction du taylorisme aux USA et le modèle productif japonais.



Par ses méthodes et en particulier la place donnée à la conflictualité (dimension endogène de l’évolution des formes d’organisation du travail et des politiques de management et non élément surajouté) ce livre permet d’appréhender à travers une histoire des restructurations d’un secteur prépondérant du monde capitaliste et les modifications de la subsomption réelle du travail. (La notion de soumission ou subsomption est d’acceptation plus large que celle d’exploitation). L’auteur nous rappelle que « La subsomption réelle du travail a ceci de particulier qu’elle peut laisser l’individu entièrement autonome et responsable… » Le despotisme d’entreprise peut se dépouiller de ses aspects les plus autoritaires mais « même le travail le plus autonome peut encore connaître une forme de domination sous une forme particulière telle que le codes du métier et la conformisation de soi à ceux-ci. »



Se réclamant d’une certaine tradition d’analyse (entre autres Pierre Naville, Jean-Marie Vincent et Pierre Rolle) l’auteur n’oublie pas que « Le temps est un rapport social, tout comme le travail. » et que « Le capital ne peut prendre en considération la subjectivité libre opposée au monde des choses qu’en chosifiant à son tour la subjectivité pour la soumettre au processus de valorisation. »



Dans sa postface « Salariat, résistance et perspectives » Pierre Cours-Salies revient sur les apports de cette démarche pluridisciplinaire et nous rappelle que « l’avenir s’écrit en grande partie au futur antérieur ».



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