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Citation de Laumness


En 2019, l’humanité pré-cyborg ne consentait plus au réel, ne s’en satisfaisait pas, ne s’y accordait, ni ne savait s’y assortir. Ici, à Notre-Dame de l’Attente, je demandais au monde de continuer à pourvoir ce qui était déjà en place.

En ce début de siècle 21, nous autres, huit milliards d’humains, asservissions la nature avec passion. Nous lessivions les sols, acidifiions les eaux, asphyxiions les airs. Un rapport de la Société zoologique britannique établissait à 60 % la proportion d’espèces sauvages disparues en cinq décennies. Le monde reculait, la vie se retirait, les dieux se cachaient. La race humaine se portait bien. Elle bâtissait les conditions de son enfer, s’apprêtait à franchir la barre des dix milliards d’individus. Les plus optimistes se félicitaient de la possibilité d’un globe peuplé de quatorze milliards d’hommes. Si la vie se résumait à l’assouvissement des besoins biologiques en vue de la reproduction de l’espèce, la perspective était encourageante : nous pourrions copuler dans des cubes de béton connectés au Wifi en mangeant des insectes. Mais si l’on demandait à notre passage sur la Terre sa part de beauté et si la vie était une partie jouée dans un jardin magique, la disparition des bêtes s’avérait une nouvelle atroce. La pire de toutes. Elle avait été accueillie dans l’indifférence. Le cheminot défend le cheminot. L’homme se préoccupe de l’homme. L’humanisme est un syndicalisme comme un autre.

La dégradation du monde s’accompagnait d’une espérance frénétique en un avenir meilleur. Plus le réel se dégradait, plus retentissaient les imprécations messianiques. Il y avait un lien proportionnel entre la dévastation du vivant et le double mouvement d’oubli du passé et de supplique à l’avenir.

« Demain, mieux qu’aujourd'hui », slogan hideux de la modernité. Les hommes politiques promettaient des réformes (« le changement », jappaient-ils !), les croyants attendaient une vérité éternelle, les laborantins de la Silicon Valley nous annonçaient un homme augmenté. En bref, il fallait patienter, les lendemains chanteraient. C'était la même rengaine : « Puisque ce monde est bousillé, ménageons nos issues de secours ! » Hommes de science, hommes politiques et hommes de foi se pressaient au portillon des espérances. En revanche, pour conserver ce qui nous avait été remis, il n’y avait pas grand monde.

Ici un tribun de barricade appelait à la Révolution et ses troupes déferlaient avec la pioche au poing ; ici un prophète invoquait l’Au-delà et ses ouailles se prosternaient devant la promesse ; ici, un Folamour 2.0 fomentait la mutation posthumaine et ses clients s’entichaient de fétiches technologiques. Ces hommes vivaient sur des oursins. Ils ne supportaient pas leur condition, et de cette outre-vie ils attendaient les bienfaits mais ne connaissaient pas la forme. Il est plus difficile de vénérer ce dont on jouit déjà que de rêvasser à décrocher les lunes.

Les trois instances – foi révolutionnaire, espérance messianique, arraisonnement technologique – cachaient derrière le discours du salut une indifférence profonde au présent. Pire ! elles nous épargnaient de nous conduire noblement, ici et maintenant, nous économisaient de ménager ce qui tenait encore debout.

Pendant ce temps, fonte des places, plastification, mort des bêtes.

« Fabuler d’un autre monde que le nôtre n’a aucun sens. » J’avais noté cette fusée de Nietzsche en exergue d’un petit calepin de notes. J’aurais pu la graver à l’entrée de notre grotte. Une devise pour les vallons.

Nous étions nombreux, dans les grottes et dans les villes, à ne pas désirer un monde augmenté, mais un monde célébré dans son juste partage, patrie de sa seule gloire. Une montagne, un ciel affolé de lumière, des chasses de nuages et un yack sur l’arête : tout était disposé, suffisant. Ce qui ne se voyait pas était susceptible de surgir. Ce qui ne surgissait pas avait su se cacher.
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