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Citation de bob-moussette


Sa curiosité est retombée, il parcourt à présent distraitement le site qu’il visitait, pressé même dans sortir et de se remettre au travail. Soudain il s’arrête, la main en suspend. Un paysage vient de happer son attention. Il s’agit du Château de Blonay, panneau peint par Courbet pour servir de cache à sa sulfureuse Origine du monde. Un ciel d’hiver, vaste, gris blême, la masse obscure du château dressée sur une colline noire, et au premier plan, des arbres nus sur fond de neige. Il contemple longuement le tableau, s’imprègne de ses tons froids, de son austérité, de son silence. L’ordinateur finit par se mettre en veille, l’image disparaît de l’écran qui se laque de noir où tournoient des spirales mauves et bleu électrique, Aurélien ne bouge pas, il ferme les yeux. C’est en lui qu’il ranime l’image, et peu à peu celle-ci se transforme, elle s’étend, l’horizon recule, tirant une ligne bleuâtre entre le ciel blafard et la terre enneigée.

Il a trois ou quatre ans, il glisse le long d’une pente, blotti contre sa mère sur une luge. Des arbres défilent à vive allure, leurs branches sont griffues et leurs silhouettes maigres, on dirait des squelettes de sorcières calcinées. Il pousse des cris – de joie, d’excitation, de peur, d’émerveillement. C’est la première fois qu’il voit la neige, la touche, la sent. Ses cris se cassent aussitôt dans l’air glacé, comme des stalactites, il a l’impression que sa voix se détache de son corps et qu’elle part rebondir au lointain. La clarté du jours est étrange, elle poudroie, soyeuse et cendrée, il n’en n’a jamais vu de semblable. C’est une clarté d’aube du monde, ou de sa fin, à moins qu’il ne soit entré par effraction, par enchantement dans un autre monde ? Toute cette beauté insolite l’éblouit et l’inquiète, c’est comme s’il assistait à sa propre naissance. Mais laquelle ? Est-il en train de naître ou en voie de mourir ? Et derrière lui, l’enserrant, est-ce bien sa mère, toujours, ou une autre personne… un de ces arbres-sorcières, peut-être, ou la cruelle Reine des neiges ? Il n’ose pas se retourner. Le vent siffle, lèche sa face d’une langue râpeuse. Est-ce la langue d’un loup immense et invisible ? Il rit, d’un rire aigu ou perce la panique. Sa mère resserre son étreinte et lui chantonne à l’oreille sa ritournelle, dont les drôles de mots sonnent si joliment : « Biedroneczko lec do nieba, przynies mi kawalek chleba. » Son rire s’apaise aussitôt et tinte avec gaieté ; seule sa mère sait chanter cela, dérouler cette phrase ainsi qu’un filet d’eau fraîche versé d’une cruche avec vivacité.
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