Sonore retour reporters sans frontières
Tunisie / Lors d'une visite de
journalistes français et de représentant de Reporters sans Frontière au
journaliste tunisien
Taoufik BEN BRIK, actuellement en
grève de la
faim, les autorités tunisiennes ont fait preuve de graves
violences à leur encontre.
Je ne sais pas s'il existe un autre peuple sur Terre qui ait suivi plus fidèlement ce fier commandement : "Ne pas accepter, même pour gagner le paradis, de vendre son âme". Ce sont eux qui m'ont appris qu'il n'y a aucune excuse à l'avilissement et à la lâcheté. Ce sont eux qui m'ont appris la liberté et le mépris de la mort".
Ma mère est de ces femmes qui dépensent sans compter pour s’entendre dire qu’elle est la plus belle d’entre les belles, la plus généreuse, la plus aimée, que sa mort sera pleurée… Semblable à ces califes de Bagdad, elle a besoin de ces poètes errants pour chanter sa beauté flétrie, sa générosité, son courage, l’avenir radieux de ses enfants. C’est son élixir de jouvence. On l’appelle El imbratora, l’impératrice.
Elle se sert de petites phrases assassines pour décrire cette machine aveugle, et elle diffuse aux quatre coins du monde ses lettres talmud. Elle sait faire mal rien que par le mot, la parole. Il n’est pas une caméra, une radio qui passe à Tunis sans s’arrêter sur ce visage, cette voix qui sait dire avec des mots simples le vécu de braise des Tunisiens – torture, prise d’otage, filature, pauvreté, corruption.
N’importe quel flic peut réduire n’importe lequel d’entre nous à la servitude. Il débarque dans le métier, maigrichon, maladroit, guindé, puis peu à peu il se rend compte que l’uniforme donne bien des privilèges. Il se fabrique un double arrière-train, il apprend les manières des notables de villages, le langage ordurier des ventrus. Il épouse une gamine de bonne famille. On le sollicite pour être membre honorifique de l’association des supporters de l’équipe de football locale, être le parrain des nouveau-nés. Il est invité à toutes les fêtes. Ainsi vont les Tunisiens, fascinés par l’uniforme.
Si pour les autres, écrire, c'est mettre la vie sur du papier, pour moi, la vie est pleine de papiers invisibles sur lesquels j'écris et que plus tard, au petit matin, devant le papier réel, je tente de rassembler, d'alléger en éliminant d'un même trait l'éventuelle laideur et la beauté fortuite.
Les anciens m’ont enseigné que le verbe enceint de songes, de contes, de vécu fait d’heurs et de malheurs, peut fondre le plomb. La divine Schéhérazade n’a-t-elle pas prolongé de mille et une nuits sa vie en meublant les insomnies du Grand Roi Shâhriyâr ?
En plus, j’ai la phobie des foules, ce serpent à mille têtes qui t’insuffle des sentiments inconnus, dévastateurs, cette rivière en crue qui t’impose son diktat, qui t’entraîne de gré ou de force là où elle se jette. Elle se nourrit toujours de spectacles, de tragédies. Elle a besoin de victoires pour acclamer les vainqueurs du jour. Elle demande toujours plus de sacrifices sur son autel. La foule est de ces femmes qui ne sucent que la bite des conquérants.
Mais qui écrit encore en Tunisie ? Se balader à Tunis City du côté des bars, des cafés tels que L’Univers, Le Florence, L’Africa, La Rotonde, Le Kilt, c’est entrer dans le monde des ex. Ex-journalistes, ex-écrivains, ex-comédiens. Les anciens temples de la parole et de l’écriture, du débat-combat, ont été brûlés au napalm. Les survivants de cet Hiroshima ont vendu leur âme ou, comme moi, se sont exilés dans d’autres langues.
Entrer aujourd’hui dans une rédaction, c’est s’introduire dans un lieu sinistré, brrr… Tout le monde est au frigo dans ce paysage lunaire, sans air. Les célèbres chroniqueurs ont déserté depuis belle lurette ces bureaux. Ils se sont convertis en épiciers, en contrebandiers, en instituteurs, certains en mendiants.
J’avais pour seul diplôme celui de phraseur. Les phrases seront mon flingue, mon gilet pare-balles. Je serai un gangster qui braquera les banques avec des mots. C’est encore avec l’alphabet que je piquerai le taureau.