Tere Michaels

- Pourquoi on devrait se coller une étiquette ?
Evan posa ses couverts et se leva, frottant son short.
- Sérieusement, pourquoi devrions-nous dire que nous sommes gays, hétéros ou autre ? C’est notre vie. Je croyais que tu te fichais de l’avis des autres.
- Je me fiche de l’avis des inconnus. Qu’ils aillent se faire foutre. Mais pas de mes amis, de tes enfants et de toi. Surtout toi, particulièrement toi. Je me préoccupe de ce que tu penses.
- Je t’aime et je n’irai nulle part.
[…]
- Les étiquettes n’ont aucune importance. La honte, par contre, si.
- Quoi ? Je n’ai pas honte de quoi que ce soit. Je suis juste une personne très réservée.
Evan sentit la panique monter en lui.
- Les gens qui importent sont au courant.
- Oui. Alors pourquoi le reste du monde ne pourrait pas le savoir ?

« Matt poussa un profond soupir. Il regarda le contenu de son assiette avec nostalgie : il aurait préféré mâcher que parler. Enfin, il prit une profonde inspiration et déclara :
— Je suis tombé amoureux de quelqu’un.
Elle ne répondit rien, et il sur qu’elle attendait la deuxième partie de son annonce, qui flottait lourdement entre eux.
— Un homme.
C’est d’une voix soudain épaisse qu’il avait réussi à prononcer ces mots. Liz, bénie soit-elle, ne se mot ni à cligner des yeux ni à bafouiller, mais se contenta de prendre la main de Matt dans la sienne et de la serre.
— Félicitation, Matt ! C’est un sacré veinard. »

— Alors, des indices sur les parents de ce gamin ? La question était anodine, mais quelque chose incita Evan à lever la tête de son riz-haricots pour jeter un œil à Matt. Danny, assis à sa gauche, avait arrêté d’enfourner la nourriture dans sa bouche pour la première fois depuis cinq minutes ; et même Elizabeth leva la tête en s’extirpant des rêveries auxquelles elle s’adonnait.
— Euh, non. Ils sont du Connecticut, et c’est à peu près tout, répondit Evan en fronçant les sourcils.
Il avait été si occupé à penser à Kent et élaborer des scénarios catastrophe de grossesse et de fugue amoureuse de la part de Miranda qu’il avait oublié de demander.
— Oh. OK.
Matt revint à son repas après avoir échangé un regard avec Danny.
— Je peux demander à Miranda…
— Non, on se gardera ça comme surprise, répondit Matt avec une grimace qui plomba Evan. Ça ajoutera à la festivité de ces vacances.
— On a peur qu’ils soient peut-être homophobes, lâcha Elizabeth en provoquant chez Matt et Danny un temps d’arrêt digne du cinéma, avant de leur adresser une moue. J’écoutais, OK ?
Evan grogna intérieurement. Merde. Remarque pertinente.
— Ils le sont probablement pas, risqua Matt. Parce que Miranda a dû leur parler de nous et ils viennent quand même, non ?

— Non, c’est pas vrai, reprit Miranda en secouant la tête de colère. Tu mens. Tu as Matt. Tu veux me faire croire que si tu pouvais choisir entre la ramener ou le garder, tu choisirais maman ?
C’était un terrain glissant, la question impossible qu’il ne s’était jamais autorisée. Elle n’avait aucune réponse, car cela n’arrivait jamais, mais quand même… Elle était là.
— Il n’y a pas de véritable réponse à ça, et tu le sais, souffla-t-il en toute sincérité. Je ne peux pas la ramener. Ça n’a rien à voir avec Matt.
Manifestement frustrée, Miranda recouvrit ses yeux de ses mains. Evan toucha doucement son bras mais elle se recula.
— Tu comprends pas, réussit-elle seulement à répéter.
Elle se tourna et disparut à l’angle du mur en direction des escaliers. Evan commença à la suivre, son corps passant en mode « papa protecteur » même s’il savait qu’il ne pouvait pas soulager sa douleur. Il resta où il se trouvait, vissé sur place, un poing contre le cœur.

Evan dut l’admettre, la douche géante était absolument extraordinaire avec ses carreaux en verre de mer bleus… La cabine ressemblait d’ailleurs plus à une pièce entière. Il y avait une multitude de jets dirigés dans tous les sens, ce qui était particulièrement utile quand il se retrouva à genoux pour sucer le pénis de Matt comme s’il avait un temps limité. Il promena ses mains sur le corps musculeux de Matt, titillant l’intérieur de ses cuisses, caressant son périnée avant de se reculer. Il sentit le frisson de Matt et fit glisser ses doigts entre ses fesses avant de les enfoncer dans son anus.
Autrefois…
Eh bien, il n’y aurait même pas pensé, cela l’aurait terrifié, mais il était si content d’avoir dépassé ce cap parce que, bon sang, c’était si agréable d’avoir ce genre de pouvoir sur Matt, même à genoux… Et il comprenait cela désormais, il comprenait qu’il n’était nullement question de renoncer à quelque chose.

« Inspirant profondément, il serrait les poings à s’en faire péter les phalanges.
Allez-vous en, pensait-il, désespéré. Partez et laissez-nous parler… Laissez-moi lui parler. Il faut que je m’assure qu’il va bien.
Et, lorsque Vic l’appela, il sentit son cœur bondir dans sa poitrine. »

Cette virée au centre commercial mit à contribution l’expertise d’Evan en tant que père ayant quelquefois dû habiller ses enfants. Pas plus tard que la semaine précédente, il avait passé un samedi entier à guider Elizabeth et Danny à travers le même endroit, armé d’une carte de crédit et d’une incroyable patience. La dernière année de collège nécessitait une garde-robe plus spécifique et les temps changeaient apparemment puisqu’il ne se souvenait pas de cela avec Miranda et Katie, quelques années auparavant. Le risque d’un suicide social à cause d’une mauvaise paire de chaussures semblait planer de plus en plus tôt sur la vie des enfants.

— Il s’appelle Kent, il est en cours de commerce avec elle et ils se sont rencontrés en juillet. En juillet ! Comment peut-on prendre ce genre de décision en aussi peu de temps ? Et sans parler du fait qu’elle ait vingt-et-un ans !
Matt choisit avec sagesse de ne pas faire remarquer que Sherri et lui aussi étaient très jeunes lorsqu’ils s’étaient rencontrés, étaient tombés amoureux et s’étaient mariés. Et bon sang, à vingt-deux ans, ils avaient deux enfants. Il supposa que cela serait porté à l’attention d’Evan un peu plus tard, quand lui et Miranda entreraient dans la cage d’acier où leur lutte verbale se déroulerait.

Evan gérait mal le changement. Tout le monde le savait.
Au cours des dernières années, il avait perdu sa femme, était tombé amoureux d’un homme, avait dû élever quatre enfants, faire son travail, et s’était vu offrir le poste de capitaine. Sa paroi stomacale était encore intacte, ou presque en tout cas, et à cet instant précis, il était assis sur un banc en PVC à côté d’un homme qu’il aimait, formant manifestement un couple, étant ouvertement ensemble, et la seule chose au monde dont il s’inquiétait :
— Ne fais pas tomber de glaçage sur ton bermuda.
Pour un psychorigide, Evan Cerelli s’en sortait bien.

— Tu avais une femme, donc… Enfin, ce n’est pas pareil pour les couples gays, murmura Griffin. On ne peut pas simplement s’éclater pendant une nuit, faire l’impasse sur la capote et boum.
— C’est une assez bonne description, ce boum, acquiesça Evan en se penchant en avant, la voix plus douce. Tu réfléchis au fait de devenir père ?