Il existait contre les sceptiques un argument traditionnel : c'est qu'ils ne peuvent formuler leurs négations sans les infirmer du même coup en s'appuyant sur les principes qu'ils refusent de reconnaître. On traduisait sous les formes les plus variées cette contradiction initiale à laquelle on prétendait que se condamnaient les sceptiques, et Épictète en donne complaisamment une série d'exemples. Il ajoute, et non sans malice, que, dans la pratique, ils se gardent bien d'appliquer leurs théories. Leurs négations , qui sont la mort de l'esprit, seraient la mort du corps, s'ils voulaient, ne fût-ce qu'un instant, rester fidèles à leurs doctrines absurdes.
Dès lors, il est heureux pour Épictète, ou plus exactement pour ceux qui tiennent à le connaître, qu'il n'ait pas eu pour disciple un Platon ni même un Xénophon. On peut aller plus loin. Si Épictète en personne avait pris la
plume et rédigé un traité de philosophie en forme, il nous aurait donné de lui-même une image assurément toute différente, supérieure sans doute sur plus d'un point; mais cette image ne serait peut-être pas aussi exacte dans l'ensemble. Il est remarquable que nous ne possédions aucun traité dogmatique, systématique et impersonnel de la doctrine stoïcienne, telle qu'elle était professée sous l'Empire.
Quel écrivain, soucieux de sa réputation future et préoccupé de se faire
avantageusement connaître, voudrait passer à la postérité dans d'aussi fâcheuses conditions qu'Épictète? Il y en a qui poussent le scrupule à l'égard d'eux-mêmes jusqu'à retirer de la circulation leurs œuvres de jeunesse : du moins ont-elles été écrites de leur propre main. Si on a pu dire qu'un traducteur est un traître, que penser d'un modeste rédacteur?
Si le devoir d'un écrivain est de se mettre tout entier dans ses livres, le premier devoir d'Arrien, au contraire, était de s'effacer le plus complètement possible. Or il paraît bien l'avoir rempli. Il avait déjà évidemment cet esprit exact et consciencieux, ennemi des écarts d'imagination, qu'on trouve chez l'historien d'Alexandre.