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Citation de rkhettaoui


Elle ne dit pas « ma grande », ou «  ma belle », aucun de ces sobriquets débiles qu’une femme mûre se sent parfois obligée de sortir à une gamine de 20 ans. Il y a quelque chose de professionnel dans sa façon de prendre les choses en main. — Montez, je vous emmène à mon bureau. C’est tout près. Encore une chance ! — Votre bureau ? Elle me sourit comme à une éclaircie bienvenue. — Ah, vous parlez. Tant mieux, ça nous facilitera la tâche. Bon, ça suffit. — Attendez, quelle tâche, de quoi vous parlez ? Et lâchez-moi, merde ! J’ai tiré le coude en arrière d’un coup sec et je jette un regard rapide autour de nous, voir dans quelle direction je vais pouvoir me casser d’ici. La rue est déserte, les rideaux sont tirés aux fenêtres des pavillons blanc crème ou grisouille qui la bordent, un dimanche midi c’est particulièrement sinistre – mais ça n’a rien d’étonnant par ici. « Donfran, ville de malheur : arrivé à midi, pendu à une heure »  : une ville qui porte une devise pareille, ça a au moins le mérite d’annoncer la couleur. Basse-Normandie, pas un chat, pas un bruit. Le décor de mon enfance, là où j’ai grandi – entre quatre murs. J’étais venue passer le week-end chez mes parents et ça ne m’avait pas vraiment boosté le moral. — Voilà, vous voyez ? elle dit. Je vous ai lâchée. Je ne vous veux pas de mal, d’accord ? Si vous voulez filer, vous pouvez. C’est ce mot-là, « filer », ce mot un peu canaille, qui m’a fait rester. D’un coup je basculais dans un film de Godard, le genre d’ambiance où les gens se balancent des répliques de ce goût-là comme si rien n’était plus naturel, Il s’agirait de filer en vitesse , ça m’a toujours plu. Si je pouvais vivre dans un film de Godard, je me sentirais sûrement moins dark, moins furieuse tout le temps. J’aurais probablement pas envie de me jeter sous les roues de la première bagnole venue, par un bel après-midi de juin, à l’occasion d’une visite de famille à Donfran, ville de malheur. Mais j’ai beau être jeune et pas mal larguée, je sais bien que la vie n’a rien à voir avec un film de Godard. Les couleurs ne sont jamais aussi éclatantes, il n’y a pas de musique bizarre pour souligner les passages drôles ou absurdes et les gens sont infiniment plus prévisibles. Madame frange cuivrée sourit en désignant Nick Cave, qui tire une tête de croque-mort sur mon tee-shirt. — Je ne suis pas sûre qu’il approuverait. — Hein ? — Nick Cave. Ses chansons sont parfois déprimantes, mais je pense que c’est un homme qui aime la vie. Elle me soûle, je suis à deux doigts de lui dire de me lâcher la grappe, bordel, et à Nick Cave et à tous les groupes que j’aime, parce que j’ai pas besoin d’elle, ni de personne, juste qu’on me laisse me foutre en l’air si c’est ce que je veux… … quand elle fait ce truc complètement dingue, incompréhensible. On pourrait dire ridicule, mais, en revoyant la scène aujourd’hui comme à l’époque, ce n’est pas du tout ce que ça m’a inspiré.
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