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Citation de lanard


pp. 65-69
Les bien-portants n’ont jamais été patients avec les malades, et, forcément, les malades pas davantage avec les bien-portants, il ne faut pas l’oublier. Car, de tout, le malade attend beaucoup plus que le bien portant, qui n’a pas besoin de tout attendre, puisqu’il est en bonne santé. Les malades ne comprennent pas les bien portants, tout comme, inversement, les bien portants ne comprennent pas les malades, et ce conflit est très souvent un conflit mortel, que le malade, en fin de compte, n’est pas de taille à affronter, mais bien entendu, pas davantage le bien portant, qu’un tel conflit, souvent, rend malade. On ne sait pas trop comment s’y prendre avec le malade qui est tout à coup de retour là où, des mois ou des années plus tôt, la maladie l’a arraché, littéralement, à tout, et les bien portants, la plupart du temps n’ont pas du tout le désir d’aider le malade, en réalité ils jouent hypocritement les bons samaritains, ce qu’ils ne sont pas et ne veulent être, et ce qui, parce que c’est une hypocrisie, ne fait que nuire au malade, et ne l’aide pas le moins du monde. Le malade est en réalité toujours seul et l’aide qui lui est accordée de l’extérieur se révèle toujours être une gêne ou un dérangement, on ne le sait que trop. Le malade a besoin de l’aide la moins visible, celle que les bien-portants ne sont justement pas capables d’apporter. Ils ne font que du mal au malade avec leur hypocrite semblant d’aide et lui rendent tout difficile au lieu de tout lui faciliter. La plupart du temps les gens secourables ne portent pas secours au malade, ils ne font que l’embêter. Mais le malade de retour chez lui ne peut pas se permettre de se laisser embêter. Si le malade fait remarquer qu’au lieu de l’aider, en réalité on l’embête, ceux qui faisaient uniquement semblant de l’aider lui tombent dessus. On l’accuse d’arrogance, d’égoïsme insensé, alors qu’il ne s’agit chez lui que de la plus élémentaire légitime défense. Le monde des bien-portants n’accueille le malade rentré chez lui qu’avec un semblant d’amabilité, qu’avec un semblant de serviabilité, qu’avec un semblant de dévouement ; mais si, par hasard, le malade met vraiment à l’épreuve cette amitié et cette serviabilité et ce dévouement, tout cela se révèle aussitôt n’être qu’une complaisance apparente et simulée, à quoi le malade ferait mieux de renoncer. Mais, naturellement, rien n’est plus difficile que la vraie amitié, et la vraie serviabilité, et le vrai dévouement, et la frontière entre le vrai et l’apparent est, dans ce domaine aussi, difficile à tracer. Nous croyons très longtemps qu’il s’agit de quelque chose de vrai alors qu’il ne s’agissait que de quelque chose d’apparent, ce à quoi nous sommes longtemps restés aveugles. L’hypocrisie des bien-portants à l’égard du malade est la plus répandue de toutes. Au fond, le bien-portant ne veut plus rien avoir à faire avec le malade, et il n’est pas content quand le malade, je veux parler du grand malade, prétend tout à coup avoir droit à la santé. Les bien-portants font toujours ce qu’ils peuvent pour que le malade ait du mal à recouvrer la santé, ou du moins à se normaliser à nouveau, ou du moins à améliorer son état de santé. Le bien-portant, s’il est sincère, ne veut rien avoir à faire avec le malade, et, par-là, forcément et logiquement, la mort. Les bien-portants veulent rester entre eux et parmi leurs semblables, au fond ils ne tolèrent pas le malade. (…) Pendant le temps de la maladie, dans l’intervalle donc, les bien-portants s’étaient complètement détournés du malade, ils l’avaient condamné, et ils n’avaient en cela fait que suivre leur instinct de conservation. Et celui qu’ils avaient déjà éliminé et qui, finalement, n’entrait même plus en ligne de compte, voilà tout à coup qu’il est de nouveau là et qu’il fait valoir ses droits. Et on lui fait naturellement tout de suite comprendre qu’au fond il n’a pas le moindre droit. Les malades n’ont, du point de vue des bien-portants, plus aucun droit. Je parle toujours uniquement de grands malades, qui sont malades à vie ; comme moi ou comme Paul Wittgenstein avons pu l’être. Les malades sont réduits par leur maladie à l’état d’« incapables » sous tutelle et sont livrés à la charité des bien-portants. Par sa maladie, le malade a fait place nette, et le voilà qui tout à coup réclame sa place. C’est un acte que les bien-portants ressentent toujours comme absolument inouï. Ainsi le malade de retour chez lui a toujours le sentiment de chercher brusquement à s’imposer dans un endroit où il n’a plus rien à faire. Le mécanisme est universellement connu : le malade part, il reste absent, et les bien-portants occupent aussitôt sa place, ils en prennent effectivement possession, et tout à coup le malade, qui n’est pas mort comme on le pensait, revient et veut reprendre sa place, veut en reprendre possession, ce qui indigne les bien-portants, parce que la réapparition de celui qu’ils avaient déjà rayé des effectifs les oblige à se restreindre à nouveau, ce qui va tout à fait contre leur intentions et exige de la part du malade des forces plus que surhumaines, pour simplement reprendre sa place et en reprendre possession. Il faut dire d’un autre coté, les grands malades, quand ils rentrent chez eux, procèdent à leur reprise de possession sans le moindre ménagement. Ils ont même parfois la force d’écarter et d’éliminer complètement les bien-portants, et même de les tuer. Mais ces cas sont extrêmement rares, et le plus courant et celui que j’ai déjà évoqué : le malade rentrant chez lui s’attend à ne rencontrer que les plus grands ménagements, et en fin de compte il ne rencontre que la plus brutale hypocrisie, qu’avec sa clairvoyance de malade il perce tout de suite au jour. Il faut accueillir avec ménagements le malade, c’est-à-dire le grand malade, quand rentre chez lui. Mais c’est si difficile que l’on n’a presque pas d’exemple de grands malades accueillis avec ménagements quand ils rentrent chez eux. Les bien portants leur donnent aussitôt le sentiment qu’ils n’ont plus rien à faire ici, et, tout en disant le contraire, ils essaient par tous les moyens d’écœurer le malade qui rentre chez lui.
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