Citations de Valentin Hoisnard (49)
Le silence est la pire des tristesses.
Je ferme les yeux. Rien ne se passe. Je suis à l’intérieur du gouffre sans fond. La légèreté brise toute densité. Je flotte de la même façon que toutes les feuilles, bercée par ce vide sidéral.
- Madame Feuillet ? J'ai une bien triste nouvelle à vous dévoiler. Je suis au regret de vous annoncer que votre grand-mère est décédée à l'âge de quatre-vingt-cinq ans.
Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire nerveux.
- C'est moi qui suis désolée. Je suis bien Madame Feuillet, mais il doit y avoir erreur. Mes grands-parents sont décédés à ma naissance.
[...]
- Madame Feuillet ? Je viens de me renseigner. Madame Germaine Feuillet était bien votre grand-mère. Je n'ai pas pu trouver le numéro d'un de vos parents dans le registre, pouvez-vous les prévenir ?
- C'est impossible. Mes parents sont morts lorsque j'avais vingt ans.
Un silence gêné s'insère entre mon interlocuteur et moi.
- Je voulais m'assurer de cette réponse. J'ai donc bien le bon dossier en face de moi. Il serait préférable que vous passiez me voir. Si vous ne connaissiez pas votre grand-mère, en revanche, elle, avait l'air de vous connaitre.
- Comment ça ? Pouvez-vous être plus clair s'il vous plait ?
- Selon son testament, vous héritez en totalité de sa fortune ainsi que de sa maison.
La vie ne s’arrête pas au moindre petit obstacle, aussi douloureux soit-il. J’ai le devoir de la faire perdurer.
Je réalise le calvaire qu’a subi ma mère. Quelle honte de torturer une femme physiquement et mentalement ! Mes poings se serrent frénétiquement. J’écoute attentivement la suite.
« J’ai giflé ton père devant Tony et lui ai dit que c’était fini et qu’il ne me reverrait jamais. Sur le coup, je n’ai pas pris conscience de mes actes. Ton frère est parti se réfugier dans les toilettes. Je t’ai embarquée avec moi en laissant Tony et Arnold seuls à la maison. Je n’aurais jamais dû faire ça. Il a été délaissé et abandonné toute la nuit avec le cadavre de ton père, stagnant dans une baignoire de sang juste à côté de lui.
Aujourd’hui, tu as gagné une bataille. Mais la guerre vient de débuter. Les flics ne me pourchasseront pas ad vitam æternam. Tu m’as lancé une flèche dans la jambe. Je renvoie un boulet dans la tête. Telle est ma vision des choses. Je serai toujours présent pour te mettre des bâtons dans les roues. Nous nous battons pour la même chose tous les deux. Faire régner la paix dans cette putain de famille. Il ne reste plus que nous deux. Nous nous dévorerons pour savoir qui obtiendra le sang de l’autre. Au final, quel triste sort puisque nous possédons le même. Telle est la vie. Après tout, je suis ton grand frère. Veux-tu vivre ici, seule, mais bien vivante, ou rejoindre papa et maman dans l’au-delà pour construire la famille rêvée ? À toi de choisir. Sache que si nous faisons un choix commun, le sang coulera. C’est un véritable film d’horreur qui se jouera devant nous.
Je serai plus doux avec toi. Après tout, tu n’étais qu’un bébé. Mais tu as quand même monopolisé l’amour de notre mère. Elle ne m’aimait pas, j’en suis convaincu. C’est à cause de vous deux si papa est mort.
Enfin ! La vengeance a sonné. Tu as beau crier, pleurer, me supplier, il est trop tard désormais. Tu aurais dû y penser avant de m’envoyer au bagne. Non, pire. En enfer.
Aujourd’hui, je veux devenir un homme libre et accompli.
Aujourd’hui, mes poings vont faire rougir tes molaires.
Aujourd’hui, papa sera fier de moi.
C’est à cause de toi s’il s’est suicidé.
Une pensée s’insère dans ma tête. Un rictus machiavélique calcine le peu d’humanité qu’il me reste.
Je sais où tu te réfugies. C’est un choix intelligent pour gagner quelques heures supplémentaires. Tu m’as fait languir suffisamment longtemps. Il est temps d’en payer le prix fort.
Je suis prisonnière d’un fou. Un fou qui m’enferme chez moi. Qui peut oser faire une chose pareille ? Me pousser dans mes retranchements à ce point. Quelle horreur d’être dans l’incapacité de sortir de son propre chez soi. Je ne peux rien contrôler, rien faire. Mais je garde espoir. Tant qu’il ne me fait pas de mal, je ne m’inquiète pas trop. J’espère juste que ça ne changera pas.
Mon cœur comprend qu’il est en danger et se décide enfin à m’avertir. Les pulsions sont plus fortes. Les tremblements reprennent. L’anxiété grandit. Mes mains me tiennent le visage. Je ressens une douleur remonter le long de ma gorge. Comme un flux de sang.
Dans quelques heures je serai devant ta maison. Tu regarderas par ta fenêtre et découvriras le spectre qui t’attend. Un souvenir ancien, balayé, trié parmi tous tes péchés. Je vais rétablir l’ordre. Le courrier est revenu à son destinataire. Lorsque tu n’es pas sûre de l’adresse, la carte postale ressurgit toujours.
Le vent m’aide à bercer mes pulsions et mon stress. La nature est ma meilleure alliée. Elle me calme lorsque j’en ai besoin. M’apaise quand tout va mal. Comme aujourd’hui.
Au bout de plusieurs dizaines de minutes, mon cerveau se téléporte dans un autre monde rempli de verdure et d’animaux. Il s’évade enfin.
Ça fait du bien. Une torture psychologique avant la confrontation finale. Tu comprends ce que je subis depuis une quinzaine d’années. Je te promets que tu vas morfler. On a beau faire partie de la même famille, je n’en serai pas plus clément. Peut-être que tu me diras la vérité. Peut-être que tu avoueras enfin ton crime.
Le temps à l’extérieur est toujours noir. Je pense que nous sommes en fin d’après-midi. J’ai besoin de sommeil. Dormir sur le sol dur ne m’enchante pas, mais je ne dispose pas d’autres alternatives. Je m’allonge et fait le bilan de cette journée effrayante qui va se reproduire demain.
La vengeance est un plat qui se mange froid. L’hiver approche. Que de similitudes. Tout est aligné. L’aboutissement de toute ma vie !
La haine que je ressens ne demande qu’à exploser.
Mais ce jour-là, une autre phobie était née. Elle n’avait rien à voir avec l’eau. Surtout que je ne l’ai pas dit à ma mère mais, avec mes copines, certains samedis, j’allais à la piscine pour apprendre quelques mouvements. Je n’avais aucune difficulté à me maintenir à la surface. Aucun stress.
Non, ce jour-là, autre chose avait émergé des entrailles de l’horreur. La claustrophobie avait enraciné mon esprit. Aujourd’hui, les germes jaillissent hors de la terre.
Pleurer ne résoudra rien. Paniquer non plus. Tu es dans la réalité Alice. Tu sais très bien que dans ce genre de situation, plus tu as peur et plus la folie prendra entièrement possession de ta conscience.
Tu deviens folle Alice.
Folle, mais réaliste. Je suis prisonnière d’un fou. Que va me faire mon agresseur ? D’ailleurs, j’espère qu’il ne m’a pas touchée depuis que je suis ici. Ma haine se déverse contre la vitre par des coups puissants et répétés. Une rivière coule le long de mes joues. Une tempête se décharge contre les arbres. Sur le moment, je ne pense même pas aux questions les plus importantes ; qui me veut du mal ? Comment m’a-t-il capturée ? A-t-il fait souffrir ma mère ? Où est-elle ? À la place, je me noie dans le paysage en enviant les arbres enracinés dehors à quelques mètres de moi, malmenés par le climat. Au moins, eux, sont à l'extérieur.
Vous connaissez cette sensation de peur et d’inquiétude qui monte en vous lorsque vous fouillez dans votre manteau et que vous ne trouvez plus votre portefeuille. Vous êtes pourtant sûr de l’avoir pris le matin même. Vous devenez livide et finissez par vous apercevoir qu’il est dans votre poche.