Valentine Darles

Je me dis que Stéphane et moi on n'entend vraiment pas le mot « amoureux » de la même manière. Pour moi, être amoureuse, c'est le truc viscéral, qui te prend corps et âme, qui te bouleverse. Pas la relation en pointillé que tu mets de côté sans douleur. Mais pourquoi pas après tout ? Il doit y avoir plusieurs manières d'aimer, plusieurs intensités dans l'amour et, peut-être, comme le suggère Stéphane, que toutes ces formes, aussi apaisées soient-elles, méritent aussi le nom d'amour.

Malgré tous les échanges que j'ai pu avoir avec des polys, malgré toutes mes lectures, malgré la tentative de travail sur moi, je crois que je n'arrive pas à me débarrasser de cette jalousie viscérale. L'injonction à la monogamie est sans doute une de ces choses si profondément martelées dans l'enfance, que quelques mois à la déconstruire ne suffisent pas à faire disparaître les réflexes de toute une vie, peut-être même des réflexes millénaires et transgénérationnels, qui sait ?

Je comprends d'un coup ce que c'est que de se laisser aller égoïstement quand l'autre n'est plus qu'un instrument de son propre plaisir, quand on peut se délester du fardeau de la réciprocité et de celui d'être bandante et « bien comme il faut ». C'est comme une revanche que je prends contre tous ces mecs qui, emportés par leur putain de désir, avaient jusqu'alors négligé le mien, voire m'avaient abîmé les muqueuses dans leur enthousiasme imbécile et bestial.

J'explose. Victor matérialise soudain tout ce que je hais chez les hommes : cette manière de faire passer leurs soi-disant « besoins » avant tout, cet appétit insatiable, cette manière de se mettre en quatre pour vous séduire et le relâchement qui s'ensuit quand ils sont arrivés à leur fin. Victor me dégoûte comme beaucoup d'hommes m'ont dégoûtée avant lui.

J'ai beau me considérer féministe et n'aimer que les femmes, je remarque que je recherche toujours l'approbation masculine. Je n'en suis pas très fière mais, quand j'ai besoin de me sentir belle, c'est dans les yeux des hommes que je vais chercher une validation. On n'abolit pas des siècles de domination masculine comme ça, individuellement, il faut dire.

Mais l'amour, ce n'est pas comme une quantité d'eau fixe que tu as à partager entre les gens que tu aimes. Pour moi, c'est plus l'image du feu, qui se nourrit, qui peut grandir. Quand tu allumes un deuxième feu avec une brindille que tu as récupéré d'un premier feu, tu n'enlèves rien au premier. Il continue de brûler de la même manière.