Je renoue avec ces temps anciens où l'humanisme des découvertes signifiait encore quelque chose, et recueille ainsi la récompense d'années d'efforts, de risques et de travail, puisque dans l'aventure, l'on reçoit à l'exacte proportion ce que l'on donne.
Je finis par me dire qu'il importe peu au fond que le paradis soit quelque part en particulier, car, en réalité, nous le trouvons peut-être chaque jour dans la vie intense que nous procure sa quête, comme si le bonheur résidait davantage dans le chemin menant au but que dans le but lui-même.
Cette chose étrange chez les marins
Que de toujours désirer la mer
Quand ils sont au port et de souhaiter ardemment
Le retour au port quand ils sont en mer !
Un bon navire est peu de chose sans un bon équipage.Et sans doute vaut-il mieux un mauvais navire doté d'un excellent équipage qu'un excellent navire mené par un mauvais équipage.Mais recruter un "équipage d'aventure" est encore une autre affaire et des plus délicate...Dans l'aventure, il s'agit de construire et l'on ne construit pas sans efforts.Il est redoutable de chercher des individus aptes non seulement à partir en aventure mais également à vivre en communauté fermée avec toutes les exigences de solidarité, de sacrifices individuels et de discipline personnelle que cela exige.Il faut donc des hommes qui cherchent leur bonheur davantage dans leur participation à une oeuvre commune, que dans la jouissance de plaisirs consommés quotidiennement.Et cela est chose fort rare.
Mais, au fond, l'aventure n'est-ce pas aussi cela : prendre le risque de n'être jamais dans l'air du temps pour être de tous les temps ?
Par-delà le rêve, les grands voiliers n'offrent souvent qu'une vie rude et austère où la liberté individuelle ne peut être conçue que comme la liberté du choix des contraintes. Mais on y apprend une chose importante : les récompenses que l'on retire de ce type d'existence sont à l'exacte mesure de ce que l'on y met soi-même.
Les Yuhup de la rivière Otavella, dans le bassin de l'Apaporis, sont des chasseurs-cueilleurs insaisissables mais pacifiques, durs à la souffrance, au-delà de l'imaginable.Quand Franceschi les rencontre pour la première fois, ils nomadisent encore dans la grande forêt équatoriale, nus, ne possédant que leurs arcs, leurs sarbacanes et leurs carquois emplis de fléchettes dont les pointes sont enduites de curare, ce poison végétal dont ils sont les seuls à connaître les secrets de fabrication.Ils croient aux esprits, chassent les singes à la sarbacane, les tapirs à l'arc et combattent les pumas à la massue.
Les Saa sont célèbres pour une raison dont ils se seraient sans doute passé autrefois : le fameux saut du Gaul, rituel spectaculaire de passage initiatique à l'âge adulte.Réputé aujourd'hui pour avoir inspiré le saut à l'élastique dans nos sociétés modernes, ce rituel consiste à faire preuve de courage en se jetant du haut de tours de bois branlantes de près de trente mètres de hauteur, simplement retenu par des lianes accrochées aux pieds...
"S'il tombe, il combat à genoux". Franceschi a fait sienne cette antique devise de Sénèque et il ne baisse jamais pavillon.
Cependant, le combat est vain. L’eau emplit la jonque plus vite que les pompes ne parviennent à la vider. Peu avant le lever du jour, il faut se résoudre à l’abandon du navire. Franceschi et ses hommes récupèrent les journaux de bord, la cloche, les pavillons, le sextant gravé aux armes de La Boudeuse, tout ce qui compte dans une vie de marin. Mais, avant de donner l’ordre de mettre les canots à la mer, le capitaine décide de rendre un ultime hommage à son navire. Il rassemble l’équipage au bar et, à la lueur des lampes frontales qui jettent des ombres fantomatiques sur leur monde dévasté, tous chantent en chœur et lèvent avec panache un dernier verre à celle « qui leur a tant donné