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Citation de Charybde2


La radio reprit les communications. À Casalmaggiore, le fleuve avait atteint sa cote d’alerte et les habitations situées dans le lit d’inondation étaient évacuées par les militaires. Les personnes âgées avaient été emmenées presque de force sur les canots de sauvetage des pompiers. Certains, barricadés aux étages supérieurs, résistaient. Il était normal que le fleuve aille mouiller de temps en temps les pieds de ceux qui habitaient sur ses rives.
La camionnette des carabiniers passa sur le chemin de halage et descendit vers le cercle nautique. L’adjudant entre, l’imperméable ruisselant.
« L’ordre d’évacuation est arrivé pour toute la zone située en deçà de la digue principale », annonça-t-il.
C’était valable pour le cercle nautique aussi, bien entendu. Personne ne dit rien et l’adjudant y vit une sorte de défi.
« Vous pensez qu’en soixante-dix ans de Pô j’ignore quand il est temps d’enjamber la digue ? » demanda Barigazzi.
L’adjudant regarda la rangée de bouteilles derrière Gianna. Il savait à qui il avait affaire. Si le fleuve n’avait pas réussi à les extirper des berges, ce n’était certes pas lui qui pouvait y parvenir.
« Allez donc chez les fermiers de la peupleraie qui auront peut-être besoin des conseil du préfet. Ici, il n’y a que des gens expérimentés et des guérites de pêcheurs. »
L’adjudant fit une moue de dépit et changea de sujet en désignant la radio.
« Où est-elle maintenant ? »
Barigazzi vérifia l’horloge, puis il déclara :
« Elle est sur le point d’arriver à Guastalla. Mais soyez tranquille, elle n’emboutira pas le pont parce que là le courant la replacera au milieu du fleuve.
– Mes collègues le fermeront quoiqu’il en soit.
– Qu’ils le fassent. De toute façon, c’est une question d’heures : tôt ou tard, vous auriez dû le fermer quand même à cause de la crue. »
L’homme pesta, mais contre un autre pont : celui de la Fête des Morts, qui avait vidé sa caserne. Et puis contre la crue, qui lui donnait du travail alors qu’ils n’étaient que deux.
« Chaque année, le fleuve grossit pour la Toussaint, dit encore Barigazzi. Lui aussi célèbre ses morts et va visiter les cimetières. Il caresse les pierres tombales pendant quelques jours et fait miroiter les ossuaires dans les eaux qui, hors de leur lit, stagnent dans la limite des murs des cimetières et décantent en redevenant limpides. »
L’adjudant écouta en silence ce vieil homme bourru, qui était même capable de poésie lorsqu’il évoquait son univers. Il observa encore un instant ces hommes têtus, rivés aux berges du Pô, et il pensa qu’il était inutile de discuter ou d’insister. Ils lui rappelaient ses pêcheurs, là-bas, en Sicile.
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