Pour l'amour de Bethléem, de Vera Baboun
Vera signifie dans cette langue «vraie, véritable». La soeur voulait dire par là que j'étais une fille authentique ! Puis, elle ajoute, pour ne laisser subsister aucune ambiguïté : «George, pourquoi ne l'appellerais-tu pas Vera ? Quoiqu'on ait pu penser d'elle, c'est une fille par excellence !» C'est ainsi que je fus nommée Vera. Et plus j'ai grandi en conscience, plus j'ai appris les leçons de la vie, plus je me suis aperçue que Vera, mon prénom, était un élément essentiel à ma façon d'être et de me conduire. Vera signifie également «vraie», en latin. Ou encore, «foi», en russe. Mon prénom, j'en suis persuadée, a quelque chose à voir avec mon identité. Aujourd'hui, quand je me rends en Italie pour des rencontres officielles, en ma qualité de Maire de Bethléem, certains me présentent comme «il sindaco Vera», le maire, Vera. À l'oreille des Italiens, cela résonne aussi comme «le maire authentique», un maire véritable. Mon prénom me colle à la peau. Il fait partie de mon être, quoi que je fasse.
Je sais pourquoi mes parents m'ont appelée Vera. Et cet événement lie pour toujours mon prénom à ma nature. Le personnage principal de cette histoire fondatrice est mon grand-père, le père de ma mère. Elias Ghattas était un grand propriétaire terrien de Bethléem. Quand je suis née, il avait cinq filles et, sur ses cinq enfants mâles, deux seulement avaient survécu. Bien qu'il ait pris soin, dans son testament, d'attribuer une part équitable de son héritage à chacune de ses filles, en Palestine, vu la façon dont nous héritons, il est essentiel d'avoir un fils, non seulement pour perpétuer le nom, mais encore pour que les terres que l'on possède restent au sein de la famille. Mon grand-père espérait donc que le premier né de sa fille serait un fils. Et voilà que son gendre, mon père, lui annonce avec fierté : «nous avons une fille !»
Cette fille, c'était moi. J'étais la première née de mes parents. Mon grand-père, ne cachant pas sa déception, répond à mon père : «Non, George, s'il te plaît, retourne à l'hôpital et vérifie. Assure-toi que ce n'est pas un fils !» Mon père, sentant combien son beau-père était irrité, lui promet de le faire. Il retourne donc à l'hôpital de la Sainte-Famille, à Bethléem, car c'est là que je suis née. Il s'adresse à l'une des soeurs de l'Ordre fondateur de cet hôpital, les Filles de la charité de saint Vincent de Paul, qui, à l'époque, le dirigeaient encore : «Ma soeur, j'ai promis à mon père de vous demander ceci : êtes-vous vraiment certaine qu'il s'agit d'une fille ?» «Bien sûr, George, c'est une fille. E vera ! lui répond-elle en italien. Une très belle fille avec des yeux verts !»
Qui est Vera ? C'est une question que je me pose, consciemment ou inconsciemment, mais, sans attendre l'ultime réponse, tout ce que j'accomplis et la façon même dont je m'interroge portent en eux ce trait qui me définit : demeurer loyale et fidèle à mon identité profonde.