Victor Beauvais

Comme tout le monde, j’aime les premières fois. Même mes premiers cours d’informatique m’avaient plu. Pourtant, c’est pas glamour un cours d’informatique. J’aimais bien l’algorithmique, je voyais ça comme un petit jeu. La rédaction de quelques lignes de code à la grammaire lourde ne m’avait pas déplu. Je voudrais essayer plein de métiers. Ça me plairait de faire caissier, chauffeur de métro, ouvrier à la chaîne pendant quelques mois, on voit plein de choses. C’est de l’être toute sa vie qui rend fou.

Moi j’aime les filles mais je ne suis ni un séducteur ni un garçon facile. C’est rare qu’une fille m’intéresse. Je rêve d’une fille simple, libre, une fille qui me ferait vivre des émotions et des sentiments inconnus, une fille qui me rendrait meilleur et que je n’abîmerais pas. Heureusement, il y a la littérature et le cinéma. Sans eux, je crois que j’aurais pu tomber dans une vague médiocrité, vivre des petites histoires sans importance.

L’espoir tue aussi. Quand on aime une personne qui ne nous aime pas, on imagine qu’elle nous aurait sûrement aimé si on avait été un autre plus beau, plus intelligent, plus drôle. On oublie que, si on avait été cet autre, idéal, « charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi », on n’aurait sans doute pas aimé cette fille dont les mots qui nous paraîtront un jour si ordinaires nous ont atteint au cœur.

J’aurais pu aimer être prof de lycée mais j’ai vu tant de profs fous dans les écoles où je suis passé, et c’était toujours ceux qui avaient plus de quarante ans, alors je crois que ce métier rend fou, que ces gens n’étaient pas si fous avant, en tout cas pas tellement plus que les autres, et je ne me sens pas assez fort pour résister à cette folie.

Les femmes, avec leur orgueil féminin, se vengent des sots sur les gens d’esprit, et des âmes prosaïques, à argent et à coups de bâton, sur les cœurs généreux.

On sait que quand on fait l’amour, on ressent à quel point on est seul et on ne peut atteindre l’autre. C’est si vrai dans un temps sexuel comme celui-ci, mais je dirais que j’étais seul avec elle, à côté d’elle. Je crois que c’est parce que nous ne nous sommes pas menti, nous n’avons pas prétendu à un amour irréel. L’amour fusion, ce n’est pas pour moi, je ne veux pas qu’elle soit moi ni que je sois elle, je veux qu’elle soit elle-même. Je me souviens m’être dit ça très jeune.

Quand on trouve une fille jolie, on devrait toujours le lui dire. Elle s’excusait d’être timide, je lui ai dit qu’elle n’avait pas à s’excuser d’être elle-même, que je trouvais les filles toujours plus belles quand j’avais l’impression qu’elles étaient proches d’elles-mêmes, qu’elles ne mentaient pas.

Non, le monde appartient pas à ceux qui se lèvent tôt, il appartient à ceux qui ont des ouvriers qui se lèvent tôt. Tu crois qu’ils se lèvent tôt les princes saoudiens ? Hein, le monde, il appartient aux Allemands ou aux princes saoudiens ?

C’était une fille très littéraire, très belle, avec de magnifiques cheveux blonds. J’avais peur de lui plaire surtout pour les maths. Et à cause de cette crainte idiote, de ma lâcheté, par peur de souffrir aussi, il ne s’est jamais rien passé entre elle et moi. Je crois que j’aurais peut-être pu tomber amoureux d’elle si je m’étais laissé aller, si j’avais été moins dans la théorie et plus dans la vie. C’est pas glorieux.

Ce qui m’énervait trop, et j’espère que tu te laisses pas avoir, c’est les filles qui avaient pas fait leurs devoirs et qui venaient voir le chargé de TD à la fin en minaudant pour s’arranger…

Et quand je parle de TP de physique qui ouvrent les yeux, ça peut vouloir dire regarder la façon dont les gens bougent dans le métro, les différentes formes que prend l’eau selon qu’on la met dans un verre ou dans un gobelet en plastique. L’économie est peut-être une science ; en tout cas, les économistes ne sont pas des scientifiques. Quand je parle des économistes, je parle des mauvais, le problème, c’est qu’ils sont presque tous mauvais.

En physique, une hypothèse est vraie jusqu’à preuve du contraire. Pour le dire de façon simpliste et réductrice, parce que c’est ainsi qu’il faut commencer avec les économistes même si ce n’est pas applicable à l’économie, c’est l’histoire de Popper selon laquelle un énoncé scientifique doit être réfutable ; être scientifique, c’est prendre le risque d’avoir tort. Ce sont des idées qui dépassent la plupart des économistes, spécialement quand leur théorie est réfutée puisque ça ne les empêche pas de s’accrocher à leur dogme.

Les économistes ne comprennent pas que faire de la science, c’est formuler des hypothèses pour expliquer ce qu’on peut observer. Et là, le mot « observer » est à prendre avec précaution. Faire de la science, c’est créer un monde imaginaire où quelques postulats nous mènent à la beauté et à la complexité du monde en toute simplicité.

Les économistes choisissent les hypothèses de leurs modèles de façon à atteindre la conclusion qui les arrange, ils ne s’embarrassent pas de détails aussi futiles que la cohérence. Ils s’acharnent à écrire partout « sciences économiques » parce qu’ils savent qu’ils oublient de s’astreindre à une rigueur scientifique, et ce manque de rigueur est une façon de révéler malgré eux leur incompréhension totale de ce à quoi ils aspirent. Si on appelait ça de l’économisme, s’ils le faisaient avec un peu d’honnêteté, leur travail pourrait devenir digne d’intérêt.

Les économistes sont sensibles à des phénomènes de mode comme des investisseurs sur un marché financier. Et si tout le monde a tort, j’ai raison de me comporter de la même façon. Le seul objectif est d’anticiper ce que sera demain pour avoir l’air d’un précurseur. Il n’est pas question de chercher quoi que ce soit. C’est vraiment ainsi que ça se passe. Aussi bête que la religion et le marchand de futons du boulevard du Montparnasse avec son slogan « Pourquoi changer une tradition vieille de 3 000 ans ? ». Parce que quand tu fais une connerie depuis 3 000 ans, c’est peut-être plus malin de t’arrêter maintenant !

Les maths, c’est magnifique, mais je ne m’en sens pas capable, ou à un petit niveau que j’aurais trouvé frustrant après tout ce que j’ai vu. C’est mal de penser ainsi, les maths ont aussi besoin de braves soldats pas très futés comme j’aurais pu l’être pour décharger les vrais créateurs d’un lourd travail. J’ai décidé de ne pas essayer les maths, j’aurais peut-être dû faire de la physique. J’ai failli faire de la physique des liquides et des surfaces. J’ai l’impression que certains sujets m’auraient été plus facilement accessibles, il reste encore de belles expériences à réaliser.

Quand une fille me plaît, je ne me permets pas de la prendre dans mes bras et de l’embrasser partout, sauf si j’ai l’impression qu’elle aussi en a envie. Et puis si elle ne le veut pas, je n’attendrai pas qu’elle pleure en regardant ses parents pour la laisser tranquille. J’ai fui cette scène ; les gens supportent mal qu’on leur dise que le bébé avait l’air plus content quand il était libre de ses mouvements. Je n’aimerais pas être la poupée de gigantesques monstres.

31 décembre. Ça me déprime pas de changer d’année, je m’en fous, je vieillis chaque jour, pas plus ce jour qu’un autre, mais j’ai l’impression que ces soirées sont parmi celles où je me suis le plus ennuyé. Seule la Fête de la musique peut entrer en concurrence sérieuse avec le Nouvel An.

La littérature et le cinéma m’ont fait sentir à quel point l’amour fou est autre chose et peut exister dans la vraie vie. Au collège et au lycée, quand « les garçons et les filles de mon âge » commençaient à sortir ensemble, à s’embrasser, à faire l’amour, ce n’est pas tellement que je les enviais, je me sentais différent, j’étais distant.

Il y a des années de rancœur dans tous les sens. À force de traîner là-dedans, des personnes sans méchanceté particulière se retrouvent à détester et à être détestées. On voit la douleur sur certains visages. Je ne comprends pas pourquoi ils prennent ça tant à cœur. Il y a plus grave dans la vie que ces petits textes auto-estampillés « recherche » que personne ne lit, pas même leurs amis. C’est à se demander pourquoi ils sont prêts à tout pour les faire publier. D’après ce que j’ai compris, ils se jugent les uns les autres à leur liste de publications, alors ils sont prêts à écrire n’importe quoi tant qu’une revue les accepte. C’est dommage d’ailleurs, parce que l’économie, ce serait intéressant si c’était bien fait.