Si peu de temps pour passer de l'effervescence au silence [...] Si peu de temps pour basculer de l'existence au néant.
L’hôpital n’est pas romantique, sauf dans les séries télé où les patients tombent amoureux des médecins qui sont beaux et bien coiffés, mais ça, ça ne compte pas. L’hôpital est le dernier endroit où l’on rêve de revoir quelqu’un qu’on a aimé ; c’est la douleur, la maladie, les repas du soir à dix-huit heures et les anesthésies. Les patients portent un pyjama, le personnel une blouse blanche, personne n’y est vêtu normalement ; ce n’est pas un endroit où l’on s’habille, ce n’est pas un endroit d’apparence et de triche, c’est un lieu de vérité, bonne ou mauvaise. C’est un endroit où l’on attend souvent, où l’on espère encore plus, où l’on croise des gens qui apportent des fleurs. À bien y réfléchir, c’est un bel endroit pour retrouver quelqu’un qu’on aime encore.
Quand on est jeune, on ne veut pas que ce soit compliqué, même si les sentiments sont forts, on croit qu’on pourra les ressentir avec quelqu’un d’autre. On a tort. Les âmes sœurs ne courent pas les rues, quand on croise la sienne, il ne faut surtout pas la laisser s’échapper.
Rien n’avait changé, on y percevait l’odeur de l’enfance, de l’adolescence, de l’insouciance. Il était pourtant revenu dans cette pièce à maintes reprises depuis son mariage, mais la dernière fois qu’il y avait dormi datait de plusieurs années. En effet, quand ils séjournaient quelques jours avec sa femme dans la maison de ses parents, c’est son fils, pour sa plus grande joie, qui occupait l’ancienne chambre de son père. Cette fois-ci, sa femme n’était pas là, son fils non plus. Il se retrouvait là, seul face à son passé qui renaissait de chaque détail. Oui, sa jeunesse était bien loin derrière lui, et pour la première fois depuis longtemps, il sentit le poids des ans alourdir ses épaules, ces années qui avaient filé comme un train à grande vitesse pressé d’arriver à destination, sans s’arrêter pour regarder le paysage. Mais de destination il n’y avait point, il avait en réalité emprunté une voie sans issue. La bonne situation et le mariage heureux avaient eu raison de lui.
Ne pas réfléchir. Agir. Ne pas contrôler ses gestes, ses membres. Oublier les conséquences. Rester dans l'instant. Laisser les bras, les mains, les doigts maîtriser la matière. Les clous, les vis, le métal, l'explosif, les mèches.
Assembler le tout pour rencontrer l'horreur.
La réussite, je n’ai toujours pensé qu’à ça, en fait, mais j’ai dû oublier le sens de ce mot ; la réussite, je l’ai réduite au succès alors que j’aurais dû l’élargir au bonheur.
On ne s’est pas entendues, on ne s’est pas écoutées non plus, on s’est manquées comme on rate un train ou une belle occasion.
Ces photos reflétaient cependant de bons souvenirs, qu’allait-elle en faire ? Les déchirer, les jeter mais garder les cadres ? Tout jeter ? Tout garder ? Tout jeter serait sûrement dommage, tout garder difficile pour prendre de la distance. Elle libéra chaque photo de son cadre et se retrouva face à du bonheur sirupeux dont elle ne savait que faire, qu’elle n’osait ni jeter, ni garder. Existait-il un intermédiaire entre ces deux extrêmes, entre le tout et le rien ? Était-il possible de les jeter, mais de les récupérer un jour, le jour où la colère aurait disparu, pour ne garder que le meilleur de cette histoire ? Elle finit par poser négligemment les clichés sur la table, sans prendre de décision.
Sois forte, ma belle, je pense à toi, courage, prends du temps pour toi, essaie de te changer les idées… Leurs bonnes intentions étaient touchantes, mais tellement maladroites. Les sourires forcés, les regards empreints de compassion lui rappelaient combien ce qu’elle subissait était dur. Ils cherchaient leurs mots, tout en connaissant leur insuffisance, mais que pouvaient-ils dire de plus? Le plus terrible, c’est que, justement, il n’y avait rien à dire, rien à faire. Il n’y avait qu’à attendre, tourner la page, se reconstruire, continuer à vivre.
...offrir un cadeau pour dire que l’on aime et non pas que l’on a, que l’on possède. Ce collier, c’était de l’amour à l’état brut, de l’amour comme il n’en avait pas ressenti depuis longtemps. À l’époque, il n’avait pas regretté une seule seconde d’avoir épuisé ses économies et de s’être opposé à sa mère pour acheter ce bijou ; ce dernier était, à bien y réfléchir, le seul cadeau sincère qu’il avait offert à une femme, et cette idée le désola.