Le pire pour un harrag c’est le moment où il brûle ses papiers. Il s’efface du monde. Il efface sa naissance, son enfance. Il efface sa famille, sa vie. Si la police des frontières l’arrête et lui demande d’où il vient, son nom, sa date de naissance, son lieu de naissance, il ne dit rien. Il a perdu la mémoire. Il ne sait pas où il est né ni quel âge il a. Il est juste un homme. Il est né sur terre, et il ne veut pas mourir. Il rêve de vivre dans un ailleurs, de l’autre côté de la mer.
Ils se sont tous mis à brûler. Chaque mois, des nouveaux qu’on ne voyait plus. Même mon ami Issam, il est parti et n’est pas revenu. Il avait promis de m’envoyer un e-mail. Mais je n’ai rien reçu. Le quartier s’est vidé. Comme s’ils étaient à la guerre, ou qu’ils avaient été effacés de la vie. Ça fait des trous dans le quartier. Des trous dans les cafés. Des trous dans les écoles et dans les maisons.
J’ai commencé à aimer la guerre. Elle m’a rempli de rage de venger mon père. Elle m’a fait grandir d’un seul coup. Je crois que c’est ça, être adulte. Avoir le désir secret de la vengeance. Le nourrir en soi. Le cultiver chaque jour, et le laisser lentement nous manger le cœur.
Assane
« Le monde entier était un seul continent qu’on appelait la Pangée ».
Zina
« Mais alors, il n’y avait pas de pays et de frontières ? »
Assane :
« Non, pas de pays ni de frontières… »