Peut-être était elle encore dans le bois. Les soldats l'avaient peut-être aussi soulée, afin qu'elle ne puisse plus se lever et comme moi s'enfoncer dans la terre et laissée seule. Plein d'espoir, je me levai et me dirigeai en titubant vers le bois.
Je marchai entre les hautes fougères et la verdure qui m'encerclait était comme un poison acide que les arbres auraient répandu. Le même poison, le même acide qui moussait dans mon ventre.
Bientôt je n'osai plus avancer. En retenant ma respiration je regardai à travers la végétation. Une petite branche craquait et un insecte volait autour de ma tête. Sans savoir j'avançai encore quelques pas, puis sursautai d'un léger bruit tout près. Ce pouvait être un léger cri- ou des pleurs ?
Ne sachant que faire je restai sur place. Je ne pouvais rester éternellement à cet endroit, avec en moi la certitude qui augmentait mon manque de prendre une décision. Pas après pas, j'avançai à travers la verdure épaisse vers l'endroit où j'avais entendu une voix suppliante.
Sans m'y être attendu, je la vis. D'abord j'avais aperçu ses deux jambes, puis son pied avec un bandage avec ses orteils qui dépassaient. Je fis encore un pas et la vis entièrement. Elle était couchée sur son côté, les genoux relevés, et ses yeux à moitié fermés. Son visage était très pale, comme un coquillage blanc, et son front était couvert de traces noires.
J'étais si content de l'avoir retrouvée, que ces sales allemands ne l'avaient pas emmenée avec eux, que je pouvais à nouveau rire. Je m'agenouillai à son côté. Elle ne dit rien ni ne bougea. J'avais l'impression qu'elle ne remarquait même pas ma présence.
Ils t'ont aussi fait boire ? demandai-je.
Ses yeux tremblaient et je compris ce qu'elle dit : Je voudrais mourir.
Evariste avait une vraie tête de soldat : une bouche sévère, des oreilles écartées et un front suant. ses mains déposées mollement sur le volant et pendant qu'il conduisait, il fumait des cigarettes les unes après les autres et il chantait des chansons que je n'avais encore jamais entendues et dans lesquelles résonnaient des prénoms féminins rigolos. J'étais a côté de lui dans la cabine et observais ses pieds, ses bottines boueuses qui enfoncaient et lâchaient les pédales.
'vera' lui dis-je, tu n'as plus de chaussures ?
Elle vint ainsi s'asseoir sur son côté, ses genoux soulevés et son visage vers moi.
'non, Waldo, un de mes talons a cédé et ainsi ça n'allait plus. je les ai jetées. En fait j'aime aussi marcher pieds nus .