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Citation de ThibaultMarconnet


II

Chaque fois que le soleil descend
Et que le thym roussit dans le sein de la pierre
Une goutte d’eau creuse jusqu’à la moelle le silence
Une cloche sonne les années, suspendue au très vieux platane.

Les étincelles ne dorment que d’un œil dans les braises de la solitude
Et les toits songent au duvet doré ombrageant les lèvres de juillet
Jaune comme la barbe du maïs brûlé par le désespoir du couchant.

La Sainte Vierge s’allonge dans les myrtes avec sa grande
jupe tachée par les raisins.
Un enfant pleure sur le chemin. Une brebis lui répond
dans la plaine, appelant ses petits égarés.

Ombres sur la fontaine. Tonneau gelé.
La fille du forgeron et ses jambes trempées.
Sur la table, le pain et l’olive,
Dans la treille, l’étoile du berger
Et là-haut, tournant sur sa broche céleste,
La Voie Lactée parfume l’infini
D’une odeur d’ail, de poivre et de graisse brûlée.

Ah, quelle pelote d’étoiles faudra-t-il
Aux aiguilles du pin
Pour qu’elles brodent sur les lèvres brûlées de l’été
Les éternelles consolations d’usage !
Combien de temps encore la mère frappera-t-elle
Son cœur devant ses sept pallicares égorgés
Jusqu’à ce que la lumière trouve un chemin
Au versant de son âme !

Cet ossement qui sort de terre
Mesure la terre mètre par mètre
Et les cordes du luth, et le luth, le violon,
Du crépuscule jusqu’à l’aube,
Disent leur plainte aux pins, aux romarins,
Et font vibrer comme des cordes les haubans du navire
Et le matin boit l’amertume de la mer dans la coupe
d’Ulysse.

Ah, qui bouchera l’entrée,
Quelle épée tranchera le courage,
Quelle clé fermera le portail de ton cœur,
Le portail grand ouvert sur les jardins étoilés de Dieu ?

Heure auguste comme un samedi soir de mai dans une
taverne de marin
Nuit grande comme la tôle au mur de l’étameur
Chant précieux comme une miche de pain sur la table
du pêcheur d’éponges.

Et voici la lune crétoise dévalant les galets
Avec vingt rangées de clous sur les bottes,
Et voici ceux qui montent et descendent les marches
de Nauplie
Et qui ont pour tabac les feuilles épaisses de la nuit,
Pour moustaches des buissons de thym saupoudrés
d’astres
Et en place de dents, les souches, les rochers et le sel
de l’Égée.

Ils sont entrés dans les chaînes et le feu,
Ils ont parlé avec les pierres.
Ils ont offert un raki à la Mort
Dans le crâne de leur ancêtre,
Sur les Aires de marbre, ils ont rencontré Digénis,
Ils ont dressé la table pour dîner
Et ils ont partagé leur désespoir en deux
Comme on partage, sur ses genoux, la miche d’orge.

Femme aux cils d’amertume, aux mains tannées
Par les années et l’angoisse de la pauvreté —
L’amour t’attend parmi les chênes,
La mouette, dans sa grotte, révère ta sombre icône,
L’oursin sans joie baise l’ongle de ton pied.

Dans la grappe noire de la vigne fermente le moût
écarlate
Fermentent les rhododendrons parmi les houx brûlés.
Dans le sol, la racine du mort aspire l’eau pour
rejaillir sapin
Et la mère sous ses rides
Serre de toutes ses forces un couteau.

Femme qui couves les œufs d’or de la foudre —
En quel jour rayonnant remettras-tu ton fichu noir,
Reprendras-tu les armes ?
Et la grêle de mai te fouettera en plein visage,
Le soleil brisera sa grenade sur ton tablier de coton,
Et grain par grain tu le partageras entre tes douze
orphelins,
Et comme fil d’épée, comme neige d’avril,
Le rivage resplendira
Et le crabe surgira sur les galets pour se sécher
et pour croiser ses pinces.

("Grécité", p. 25-31)
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