Ce dont je suis sûre après tant d'années, et
que je voudrais crier avec tous les pacifistes de
la terre, c'est que la guerre est un infâme, un
monstrueux gâchis qui ouvre la voie à tout ce
que l'homme, sous son mince vernis de civili-
sation, recèle encore de primitif, de sauvage, de
cruel. De quelque manière qu'on s'efforce de la
justifier, l'atrocité est toujours son corollaire, le
meurtre collectif et organisé son but sinistre.
Toute tentative de «l'humaniser» est illusoire
puisqu'elle est la négation absolue de toute
notion d'humanité.
Il la prend dans ses bras, la serre contre lui et ajoute avec un instinct très sûr cette petite phrase à laquelle aucune femme, ou presque, n'est capable de résister :
- J'ai besoin de toi.
Dehors, une autre solitude : celle de la nuit étoilée, des grands champs de neige, et l'odeur d'une fumée qui monte d'un toit, quelque part dans le village silencieux, là-bas au bord du gouffre. Celle-là aussi, essayer de la vivre, cette solitude et cette indifférence glacée des montagnes, figées dans leur beauté hors d'atteinte.
Désemparée, elle s'est arrêtée au milieu de la pièce et se souvient qu'au cours de ce week-end, elle ne sait plus quand, elle a pensé que jamais plus elle ne se réfugierait dans le petit monde préservé qu'elle a construit autour d'elle.
Un des premiers qui aient pensé à suppri-
mer Hitler, c'est un Suisse, le jeune Neuchâte-
lois Maurice Bavaud, dont Nicolas Meienberg
a raconté l'épopée*. Catholique fervent, ce
garçon de vingt-deux ans décida en 1938 de se
rendre en Allemagne, armé d'un pistolet, pour
tuer le dictateur qu'il essaya d'approcher à
Berlin, à Berchtesgaden, à Munich. Les cir-
constances l'empêchèrent de mettre son projet
à exécution. Dans un train où il voyageait sans
billet car il avait épuisé ses ressources finan-
cières, un contrôleur, l'interpella, le trouva
suspect et le remit à la Gestapo. Celle-ci, grâce
aux méthodes qu'on lui connaît, n'eut pas
beaucoup de peine à faire avouer à Maurice
Bavaud la raison de son séjour en Allemagne.
Emprisonné pendant de longs mois à Plötzen-
see, il fut exécuté à la hache le 14 mai 1941. U
semble que notre ambassadeur à Berlin, le
fameux Hans Fröhlicher, ne fit pas grand-
chose pour le sauver et que les Autorités
suisses, elles aussi, se montrèrent très «pru-
dentes».
*Maurice Bavaud a voulu tuer Hitler, Nicolas Meienberg, Editions Zoé, 1982.
L'épicier la suit des yeux, tandis qu'elle s'éloigne dans la même direction que le vieil homme. Elle fait mine d'accélérer, se retourne. Heureusement, une cliente vient d'arriver, l'épicier s'est penché avec elle sur l'éventaire où les légumes et les fruits sont exposé en abondance comme dans les pays du Sud. Il ne pourra donc remarquer que Marie, au lieu d'aborder le vieillard, se contente de marcher à quelques pas derrière lui. Et c'est à ce moment, à ce moment seulement, qu'elle se rend compte que la phrase qu'elle avait préparé, "Bonjour, c'est moi, Marie", est quasi impossible à prononcer. Ses amis l'avaient mise en garde, mais elle, de plus en plus entêtée:
"Je le retrouverai, il faudra bien que je le retrouve."
- "Et qu'est-ce que tu lui diras?"
- "Ne vous en faites pas, j'ai plein de chose à lui dire." Certains avaient ajouté: "À quoi est-ce que ça t'avancera? Le passé est le passé, mieux vaut le laisser dormir." Elle avait détesté leur tiédeur, leur gros bon sens, alors qu'elle sentait en elle cet élan, une sorte d'absolue nécessité.
«Quand les nazis ont arrêté les commu-
nistes, je me suis tu : je n'étais pas communiste.
Quand ils ont emprisonné les sociaux-démo-
crates, je me suis tu : je n'étais pas social-démo-
crate.
Quand ils ont arrêté les syndicalistes, je me
suis tu: je n'étais pas syndicaliste.
Quand ils ont arrêté les Juifs, je me suis tu :
je n'étais pas Juif.
Quand ils sont venus m'arrêter, il n'y avait
plus personne qui puisse protester.»
Paroles du pasteur Martin Niemöller reprises par Bertolt Brecht
On ne sait rien de la mort quand on ne connaît pas l'amour.
Je comprends de mieux en mieux que
l'Ouest a purement et simplement «colonisé»
l'ancien Berlin-Est, et sans doute la République
démocratique tout entière - en faisant table rase
de tout ce qui s'y était pensé, accompli,
construit pendant cinquante ans. Balayés les
quelques acquis du communisme, comme les
loyers et les transports bon marché, les crèches
en nombre suffisant, les places de théâtre
accessibles à tous. Comme toujours, les plus
puissants, les plus riches, ont imposé leur
conception de la vie et de la société : pour les
citoyens de l'Est, cette liberté qu'ils ont tant
désirée, pour laquelle ils se sont mobilisés, se
paie au prix fort: l'abandon de leur identité.
Allemands de deuxième zone aux yeux de leurs
«frères» retrouvés, ils se sentent humiliés et
incapables encore de s'adapter à l'esprit de
compétition, de rendement, qui a succédé à l'idéal de fraternité et de solidarité en lequel ils
avaient mis leur espoir, un idéal trahi par leurs
dirigeants, mais remplacé maintenant par quoi?
Par le matérialisme de la société de consomma-
tion, par le «struggle for life», par le chacun pour soi, sous l'égide des dieux Dollar et Mark...
- Vous savez, dit-elle, quand il y avait chez
nous une organisation qui n'existait pas à Ber-
lin-Ouest on concluait très vite qu'elle n'avait
aucune raison d'être. Au contraire, quand une
organisation identique existait à l'Ouest, on
estimait que deux c'était trop et on fermait celle
de l'Est...
- Le contraire ne s'est jamais produit?
- Qu'on garde ce qui existait à l'Est et
qu'on supprime une institution à l'Ouest? Non,
pas à ma connaissance...