Je suis très impressionnée par l'existence que doivent mener les émigrants à l'entrepont. Ils sont trois cent seize, hommes, femmes, enfants jeunes, bébés, confondus. Et nous risquons d'avoir deux naissances en cours de route. Ce sont en majorité de pauvres bougres recrutés par des sociétés de colonisations privées, car ce n'est pas uniquement le gouvernement brésilien qui recherche officiellement des colons pour peupler des contrées jamais exploitées, certains gros propriétaires trouvent eux aussi une bonne façon de rentabiliser les terres incultes de leur domaine en les divisant en petits lopins vendus à crédit. Les colons travaillent dessus dix à vingt ans avant de pouvoir rembourser leur dette.
Interminables encombrements : elle traverse une ville en chantier. Petits métiers, marchandes des quatre saisons ou de bouquets de violettes, rétameurs de casseroles, vendeurs de grives, porteuses de pains ou charbonniers, panier sur la tête, disputent le trottoir aux matériaux de construction. Odeurs de gaufres, de beignets et de galettes alternent avec celles du crottin, et, par endroits, celles des égouts éventrés pour les besoins des grands travaux.
Einar Nilsson voyait cela comiquement, il disait : ici, on passe son temps à essayer de vivre sa vie mollement !
Vous voyez, comme disent les Brésiliens : Dieu écrit droit sur des lignes tordues.
- Quelqu'un te dit: "Va-t'en !", te montre la porte, et tu ressens ce que tu vaux aux yeux des autres. Rien. Et de ça, tu ne te remets pas, tu te lo llevas en el alma, tu l'as sur l'âme comme un trait noir et ça ne s'efface pas : on t'a biffée, rayée. Que se chingue esse maldito chico !
Mais comment deviner ce que nous réservent les intrigues de la vie ? Ses déflagrations ne nous atteignent qu'à retardement...
Pour la troisième fois Nacha se heurte à l’intolérable. Jamais je n’avais compris de façon aussi poignante que sa vie se résumait à trois « Vete ! » Chassée par l’un, écartée du revers de la main par l’autre, décrétée indésirable enfin repoussée à trois reprises, par les trois personnes en qui elle avait placé tous ses espoirs.
Ce qui devrait provoquer en moi un malaise éveille plutôt une exaltation diffuse : en chaos, une multitude d’images viennent se chevaucher, des conversations jadis suspendues reprennent, je retrouve peu à peu, un ancien domaine, un jardin non pas oublié, mais endormi, laissé en friches.
"C'est ce qu'on se doit à soi-même qu'on paie." Quel impardonnable manquement estimait-elle avoir commis envers elle-même? Celui d'avoir scellé un jour un pacte avec un vieillard ? Ou celui d'avoir vu clair dans le jeu du vieillard et d'avoir fermé les yeux ?
Elle évoque à nouveau les occasions qui auraient pu être saisies , que l’on a tenues et lâchées. Ce qu’on aurait pu vivre et qu’on a pas vécu. Et qui, parfois, marque plus profondément de ce qui a été, blesse et laisse ouvertes des plaies.