Jean-Louis Aubert interprète en live "Bien sûr", un extrait de son nouvel album #ONPC
Un pays haut en couleurs, mais de valeurs plutôt rompues «pie franches, un pays de lâches juxtaposées sèchement, sans bavures, dans une atmosphère cristalline que nettoie le vent du large, un pays de collines, de montagnes forestières jusqu'à la mer, avec des cryptomerias, des cèdres, des pins, des arbres toujours verts, touffus, sombres, vivaces, et dans ces masses épaisses, que selon les saisons, des pruniers blancs, des cerisiers roses, des érables en feu tachent, des routes tracées, burinées, au milieu des grands arbres, on dirait des incisions en pleine masse vivante.
Par prévention de classe, plutôt que par conviction esthétique, le public auquel s'était toujours adressé l'art classique traita de haut l'art populaire. Nobles qui révéraient les divertissements et les paysages à l'ancienne mode, ils ne daignaient s'intéresser aux acteurs, aux courtisanes, aux moeurs dissolues et aux décors de la grande ville neuve où ils devaient publier leur servitude.
Aussi bien que son public, l'Estampe eut ses artistes à part. A travers leur biographie incertaine et l'incertaine chronologie de leurs oeuvres, on voit ces provinciaux qui abandonnent d'humbles professions pour la peinture, et qui, après un court passage dans l'atelier d'un artiste de l'École Kano ou chez quelque maître de l'estampe, se risquent à innover; quelques-uns sont des transfuges des écoles classiques, comme Yeishi; le talent de tel autre paraît avoir été reconnu par les grands de ce monde, mais le plus souvent, sortis du peuple, ils vivent avec lui et chichement, en querelle avec leurs graveurs qui trahissent leurs intentions, avec leurs libraires toujours lents aux commandes et aux paiements, avec leurs rivaux qui les plagient et parfois avec l'autorité qui les emprisonne.
Quand vous viendrez, écrit-il à un éditeur, ne demandez pas Hokusaï, on ne saurait pas vous répondre; demandez le prêtre qui est emménagé récemment dans le bâtiment du propriétaire Garobei, dans la cour du temple Mei-ô-in, au milieu du petit bois. » Il ne restait jamais deux mois dans le même endroit; il changeait de nom comme il changeait de place: on compte au moins neuf signatures différentes de lui. A l'article de la mort, à quatre-vingt-neuf ans, il écrivit une brève poésie, selon la coutume japonaise: « Oh ! la liberté, la belle liberté, quand on va se promener aux champs de l'été, l'âme seule, dégagée de son corps. » Mourir, c'était se remettre en route, pour dessiner encore. Sur sa pierre tombale, on inscrivit Gwakiôjen Manjino Haka, tombe de Manji, vieillard fou de dessin.
Le charme de jeunesse et de printemps que gardent encore en sa fleur les « images de brocart » peintes par Harunobu enchanta ses contemporains. Comme naguère Moronobu et Masanobu, il se vantait d'être un peintre du
Yamato, de ne pas abaisser sa dignité jusqu'à représenter des acteurs, « humbles individus qui ne valent guère mieux que des mendiants»; mais, tandis que ses prédécesseurs avaient dû se contenter de traits noirs avec rehauts de rouge ou de laque, puis d'impressions en trois couleurs, lui para ses belles des cinq ou six tons que les progrès de l'estampe mettaient à sa disposition. Et ce fut le triomphe de l'Azumanishiki-ye, de la gravure en couleurs, gloire de Yedo.
Un tel bouleversement politique et économique n'ira pas sans lui coûter des sacrifices. Jusqu'à présent, il empruntait à l'Europe les moyens de préserver son passé ; maintenant, c'est beaucoup de sa propre substance qu'il devra sacrifier. Pour le Japon lui-même comme pour l'Extrême-Orient, « Paix Japonaise» signifie changement. A celle situation neuve, il faut que s'adaptent les moeurs d'autrefois, lentement formées pendant deux siècles et demi dans ces îles séparées du monde.
L'art au Japon était resté jusqu'au XVIIe siècle un divertissement noble; mais la fin du XVIe siècle fut une époque de bouleversements politiques et sociaux. Le pouvoir passa des mains de la grande famille des Ashikaga en celles d'un petit samuraï, Nobunaga, puis d'un parvenu, Hideyoshi, enfin de son lieutenant Ieyasu qui, sur le Japon maté pour deux siècles et demi, assit le pouvoir de la dynastie des Shogun Tokugawa.
Public spécial, artistes spéciaux: l'Estampe a aussi son répertoire spécial; la principale héroïne en est la bijin, jeune fille ou jeune femme, courtisane le plus souvent, et cela au moment même où la culture chinoise, toute-puissante sur les samuraï et sur les lettrés, chasse la femme de la littérature classique dont elle avait été la reine.
Public spécial, artistes spéciaux: l'Estampe a aussi son répertoire spécial; la principale héroïne en est la bijin, jeune fille ou jeune femme, courtisane le plus souvent, et cela au moment même où la culture chinoise, toute puissante sur les samuraï et sur les lettrés, chasse la femme de la littérature classique dont elle avait été la reine.
La nouveauté de Moronobu et de ses successeurs, c'est qu'ils représentent les manières et les coutumes du jour, par contraste avec les figures d'histoire des oeuvres classiques ; c'est un art d'actualité et c'est vraiment un art populaire par son public, par ses artistes et par son répertoire.